Avant-critique Roman

Thomas Snégaroff, "Les vies rêvées de la baronne d'Oettingen" (Albin Michel)

Thomas Snegaroff à Paris, le 3 octobre 2023 - Photo © samuel kirszenbaum

Thomas Snégaroff, "Les vies rêvées de la baronne d'Oettingen" (Albin Michel)

La baronne d'Oettingen, égérie de la Belle Époque, reprend vie sous la plume d'un auteur séduit, Thomas Snégaroff.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 16.12.2023 à 11h00

Pauvre Hélène. En 2020, chez Christie's, un exemplaire de Chevaux de minuit, publié en 1956 à soixante-huit exemplaires par le grand éditeur Iliazd, illustré de douze gravures au burin de Picasso, s'est vendu à plus de 50 000 euros. Complètement oublié, l'auteur de ce poème épique s'appelait Roch Grey. Et il est mort en 1950, d'une leucémie, dans la plus noire misère. Le destin a de ces ironies. Roch Grey était en fait le pseudonyme pour la poésie, comme Léonard Pieu l'était pour la prose, François Angiboult pour la peinture (cubiste), ou même Jean Cérusse pour ses quelques articles, d'un personnage tout à fait extraordinaire, nommée d'Hélène, baronne d'Oettingen.

Née Elena Miontchinska en 1885 en Ukraine d'une mère comtesse polonaise et d'un père inconnu, elle prétendra plus tard être née à Venise, fille de l'empereur d'Autriche François-Joseph ! Issue d'une noble et richissime famille, faisant preuve toute jeune d'une totale amoralité et d'un besoin forcené de liberté, elle se marie une première fois à 17 ans avec un baron allemand dont elle divorce un an après. Elle conservera son nom. Arrivée à Paris en 1900, quand Montparnasse était la capitale mondiale de la littérature et des arts et le refuge de tous les talents du monde (Apollinaire, Picasso, Modigliani, Chagall, Soutine, Foujita et tant d'autres, qui furent de ses amis), elle devint vite l'une des égéries de la Belle Époque, recevant dans son somptueux appartement du boulevard Raspail jusqu'à ce qu'elle en soit expulsée en 1935, condamnée désormais à l'indigence et au mont-de-piété. La révolution russe l'avait privée de ses revenus, et c'est son cousin le peintre Serge Férat (encore un pseudonyme) qui assura jusqu'au bout le matériel. Pauvrement. Il encouragea aussi toujours Hélène à exprimer ses dons multiples. Ce qu'elle fit, sans jamais connaître le succès. Elle n'eut pas non plus beaucoup de chance en amour, volage, incapable d'attachement durable dans ses années fastes, puis abandonnée de tous.

Cette femme méritait de sortir de l'oubli où elle est tombée. Elle le doit à Thomas Snégaroff, et ce n'est pas un hasard. Le journaliste, universitaire, spécialiste des États-Unis, est l'arrière-petit-fils de Dimitri Snégaroff, émigré russe qui créa en 1910 à Paris la mythique Imprimerie Union. Il a connu Hélène, été l'un de ses amants d'une nuit, et c'est sur ses presses que Chevaux de minuit a vu le jour. Le récit de Thomas Snégaroff se dévore, et l'œuvre de Roch Grey mérite peut-être qu'on la découvre.

Thomas Snégaroff
Les vies rêvées de la baronne d'Oettingen
Albin Michel
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 256 p.
ISBN: 9782226485892

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