Tintin en Amérique est depuis peu dans la ligne de mire des « Premiers Américains », les Indiens du Canada.
Et les citoyens de Winnipeg, dans le Manitoba (Canada), fustigent une des librairies Chapters (groupe Indigo), afin que la bande dessinée soit retirée de la vente.
Tintin, défenseur au-dessus de tout soupçon de la veuve, de l’orphelin et de l’opprimé, a déjà été en de maintes occasions pointé du doigt pour les orientations insidieuses, ou carrément assumées, de ses croisades. En 1973, invité par Bernard Pivot dans son émission Ouvrez les guillemets et interpellé par l’animateur sur le racisme qui s’exprime dans Tintin au Congo, le dessinateur invoque l’humour et la caricature – plaidoirie un peu faible, à laquelle il recourt pourtant de nouveau en 1976 lors d’une autre émission de télévision.
Angleterre
Cependant, les déboires de Tintin commencent réellement en Angleterre, bien après la mort d’Hergé (1983), où le jeune homme à la houppette est la cible d’attaques beaucoup plus structurées. En 2007, un avocat amateur de bande dessinée fait part du choc que lui a procuré la lecture de Tintin au Congo à une association britannique, la Commission pour l’égalité raciale. L'ancienne chaîne de librairies Borders, un groupe américain qui possède de nombreux magasins au Royaume-Uni, exige alors que le livre migre du rayon jeunesse à celui destiné aux adultes. Les Studios Hergé, qui ont en charge la gestion des droits de l’œuvre du dessinateur, espèrent voir retomber toute cette agitation déplorable pour l’image de Tintin (mais pas forcément pour les ventes).
Congo
Lorsque, patatras !, le 23 juillet 2007, Bienvenu Mbutu Mondondo, étudiant en sciences politiques à Bruxelles, dépose une plainte devant la justice belge pour réclamer le retrait de l’album des librairies. « Je veux qu’on arrête de mettre en vente cette bande dessinée, que ce soit pour les enfants ou pour les adultes, dit-il. C’est un livre raciste, rempli de propagande colonialiste. […] Il n’est pas admissible que Tintin puisse crier sur des villageois qui sont forcés de travailler à la construction d’une voie de chemin de fer ou que son chien Milou les traite de paresseux. » La vision des Africains véhiculée par Tintin au Congo n’est pas flatteuse, c’est le moins que l’on puisse dire. Elle est pourtant le reflet d’un contexte, celui des années 1930 en Belgique, du milieu très conservateur au sein duquel évolue l’auteur et du périodique, encore plus conservateur, le très réactionnaire, catholique et ouvertement « raciste » Petit Vingtième, fondé par l’abbé Wallez. Tintin au Congo est la seconde des aventures du reporter dessinée par Hergé. L’histoire succède aux péripéties bolcheviques, déjà pas mal tendancieuses, et s’inspire d’un roman à succès d’André Maurois, Les Silences du colonel Bramble, d’un livre d’Hemingway (c’est une hypothèse que l’on doit à Roger Nimier dans sa préface au Monde de Tintin, de Pol Vandromme), Les Vertes Collines d’Afrique, et des archives épluchées par Hergé au musée colonial de Tervueren, à côté de Bruxelles.
Dans les années 1960, l’album n’est plus réimprimé par Casterman, inquiet pour son image à une période où on ne badine plus avec les clichés colonialistes. Et Hergé ? Il implore son éditeur de remettre l’album en vente, invoquant, entre autres arguments, un article publié dans un numéro de Zaïre : revue congolaise, où on lit : « Si certaines images caricaturales du peuple congolais données par Tintin au Congo font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc qui les voyait comme cela. » Voilà qui aurait dû couper court aux polémiques depuis longtemps.
Belgique
Mais Bienvenu Mbutu Mondondo s’obstine. Affligé de la lenteur avec laquelle la justice belge instruit son dossier, l’étudiant a déposé plainte en 2009. Il est suivi par le Cran, le Conseil Représentatif des Associations Noires. Puis, en juin 2010, à la veille du trentième anniversaire de l’indépendance de la république démocratique du Congo, Bienvenu Mbutu Mondondo a écrit au roi des Belges pour réclamer son arbitrage.
Le 10 février 2012, la justice belge rend son jugement : « Vu le contexte de l’époque, Hergé ne pouvait pas être animé d’une telle volonté » de tenir des propos racistes.
La Cour d’Appel de Bruxelles, le 5 décembre 2012, a confirmé, par la suite, cette décision en retenant que « Hergé s’est borné à réaliser une œuvre de fiction dans le seul but de divertir ses lecteurs. Il y a pratiqué un humour candide et gentil ».
Il semble pourtant cette fois qu’un tel humour ne fasse plus rire une bonne partie des Canadiens.