Tout à coup, c’est fini. Nous sommes le 13 décembre 2041 et la planète ne répond plus. Les réseaux informatiques sont en place, mais ils ne livrent plus aucune donnée. Les écrans restent noirs. Les avions tombent. Au même moment, dans l’orbite terrestre, des astronautes venus à la rencontre d’un vaisseau spatial de retour d’une mission internationale sur Mars y découvrent un équipage totalement décimé à l’exception d’un de ses membres, groggy, prostré. Kameron Obb a, comme ses sept collègues décédés, une blessure au cou. Il a au-dessus de l’arcade sourcilière gauche une tache bleue qui va peu à peu s’étendre. Mais il est vivant, et il a pour seule obsession de revoir sa fille, Gemma, qui vit avec sa mère au haut de l’ex-Samaritaine, à Paris.
Trois ans après la fin de sa trilogie dite du "coup de sang" (Animal’z, Julia & Roem, La couleur de l’air, tous chez Casterman), qui explorait les champs du dérèglement climatique, Enki Bilal est de retour avec un nouveau projet qui postule un bug informatique planétaire. L’hypothèse n’est pas nouvelle. Mais le dessinateur imagine aussi que Kameron Obb, par un processus mystérieux, se retrouve dépositaire de cette mémoire numérique disparue, après laquelle court désormais toute la population terrienne, qui ne sait plus vivre sans son cerveau virtuel. Kameron Obb, c’est Total recall, le souvenir intégral, la connaissance absolue, du code d’accès à un dispositif de pilotage automatique au prénom du petit dernier d’un passant croisé par hasard.
Comme toujours chez Bilal, l’infiniment petit des faits, des gestes, des objets se connecte à l’infiniment grand des émotions, des sentiments, des angoisses au format de l’univers. Du brouillard bleuté, tantôt irradié par des jets de bleu Klein, émergent dans une composition étudiée des personnages puissants et désemparés. Addictif. Fabrice Piault