En Angleterre, il y a deux familles régnantes. Les Windsor et les Freud (réunis par une même ascendance germanophone). Et les moins royaux ne sont pas ceux qu'on pense. Sigmund exporta l'inconscient au pays du "5 o'clock tea", son petit-fils Lucian peignit de si magnifiques horreurs que la reine l'ennoblit, son autre petit-fils Clement épousa la Polly Plummer du Monde de Narnia et les filles de Lucian, Bella et Esther, respectivement, se réinventèrent en couturière "trendy" et en romancière post-hippie sous influence Jean Rhys.
Justement, Esther Freud publie ces jours-ci La bonne étoile, son quatrième roman traduit en français (le deuxième à l'enseigne des éditions Albin Michel, après Nuits d'été en Toscane, 2009). C'est à nouveau une éducation sentimentale. Celle que vont faire, à marche forcée, un groupe de jeunes Londoniens que tout (apparences physiques, origines sociales, caractères, choix sexuels) sépare, et que réunit un même amour du théâtre, une même volonté de brûler sa vie d'abord sur les planches. Il y a là (entres autres) Nell, un rien disgracieuse et trop timide, la trop belle Charlie, l'ombrageux et ambitieux Dan ou bien Jemma, peut-être trop révoltée pour le destin qu'elle croit s'être choisi. Il y aura bien sûr beaucoup d'appelés et presque autant de rêves fracassés. Esther Freud, à qui ces choses-là ne sont pas étrangères (elle fut comédienne et est mariée avec l'acteur fétiche de Peter Greenaway, David Morrissey, et son premier livre, Marrakech Express, >fut adapté au cinéma avec son amie Kate Winslet), se fait la mémorialiste de ces aubes trompeuses avec humour et délicatesse. La vie est assez cruelle pour que la marionnettiste s'en dispense. Récit d'apprentissage en même temps que chant d'amour doux-amer à la jeunesse enfuie, La bonne étoile fait irrésistiblement penser à son alter ego français, le très beau roman Les belles années de Sophie Avon (Mercure de France, 2010) où le cours Florent faisait écho au Drama Arts londonien. Qu'importe la Manche, ces histoires-là sont sans frontières.
