Tout pour lui. Bel homme, héritier d’une histoire séculaire, riche propriétaire terrien, dans une Italie du Sud (la Sicile, probablement) encore féodale, le baron Stefano, héros de Mâcher la poussière d’Oscar Coop-Phane, a tout pour lui. Si ce n’est peut-être la gâchette trop facile qui lui fait occire sur le coup un chapardeur d’amandes, neveu du "capo dei capi" de la Mafia locale. Mauvaise pioche. Le baron Stefano à qui tout était promis se voit tout retirer, condamné à passer le reste de ses jours entre les murs capitonnés de luxe d’un grand hôtel de la ville voisine. La vie désormais ne lui sera plus qu’un spectacle qu’il frôlera de loin en loin.
Tout pour lui. A peine un quart de siècle, un talent fou, une gueule d’ange, un premier roman sur les jours tristes d’une vieille putain, un prix de Flore pour fêter ça, Paris frémit, et pour le deuxième, un adoubement en majesté d’oiseau de nuit par Frédéric Beigbeder en personne. Seulement voilà, cette comédie des lettres, parisienne et incestueuse, n’intéresse que fort peu Oscar Coop-Phane, sans doute affranchi de tout cela avant même que ne vienne son heure. On le découvre tatoué et barman dans des établissements nocturnes. Il rentre de Berlin, part s’installer à Bruxelles via Rome et la villa Médicis. On le voudrait Bel-Ami, affolant élégantes et milords, on se retrouve avec un jeune père de famille épanoui, souriant et suffisamment indifférent, y compris à son sort, pour se montrer d’une exquise politesse.
"Frères invisibles"
Ce garçon fait de sa liberté un usage immodéré. Une seule chose sans doute le retient par-devers nous : le style, c’est-à-dire dans son cas, si l’on excepte quelques échappées vers la peinture, l’écriture. Un truc qu’il découvre encore enfant avec Une vie de Maupassant, puis Flaubert, tout le XIXe siècle et, à 19 ans, ayant rompu ses fiançailles avec sa khâgne, les "petits hommes seuls" du XXe : Calet, Bove, Guérin, Dabit, comme autant de frères invisibles. Même s’il aimait la sensation d’"happy few" d’être le seul à les connaître, un jour il trouve quelqu’un qui lui parle d’eux. C’est Thierry Boizet, éditeur chez Finitude, qui publiera ses trois premiers romans. Le nouveau paraît chez Grasset parce que, dit-il un rien tristement, "il faut parfois devoir quitter sa famille".
Pour ce Mâcher la poussière, cette histoire de baron perché dans une vie "réduite aux aguets", Oscar Coop-Phane a cette fois-ci penché vers un autre grand oublié, Jean Forton. S’il voulait, reconnaît-il volontiers, avec ce livre plus ample et romanesque encore que les précédents, sortir de sa "zone de confort" ("j’avais besoin d’écrire une vraie histoire, même si c’était pour l’abandonner en route"), les familiers de ce qui est déjà son œuvre y retrouveront quelques vieilles obsessions : la solitude, le déclassement. Oscar et nous, on ne se quitte plus. Olivier Mony
Oscar Coop-Phane, Mâcher la poussière, Grasset. Prix : 20 euros, 320 p. Sortie : 4 janvier. ISBN : 978-2-246-85495-1
