C’est un roman à la fois désopilant et féroce. Et, à la fin, quasiment désespérant. Il y est démontré que, plongé dans un milieu particulièrement immonde, gangrené par une corruption effrénée à tous les niveaux, du plus haut (un ancien chef de l’Etat et son entourage, médecins compris) au plus modeste (cuisinier, gouvernante, chauffeur, jardinier, gardes du corps…), même le plus honnête des hommes finit par succomber à la tentation, et devenir à son tour un voleur, même si ce n’est pas pour s’enrichir personnellement.
Il est vrai que l’histoire se situe en Russie, où la corruption est un sport national, dans quelques années, lorsque le président Vladimir Vladimirovitch P. (son nom n’est jamais prononcé) aura enfin, après tous les mandats possibles, accepté de quitter le pouvoir et de se retirer dans sa luxueuse datcha des environs de Moscou. Plus qu’une retraite, un monde en réduction, avec ses codes et son personnel, entièrement dévolu à la personne du patron. Lequel, à 82 ans, est complètement sénile, perd de plus en plus la mémoire et la boule, se croit toujours maître de toutes les Russies, et, lors de ses insomnies, est sujet à des hallucinations, à des crises de délire où il peut se montrer d’une violence extrême. Autrefois, Vladimir était sportif, un judoka de bon niveau, et il en a gardé de beaux restes. Hélas pour Nikolaï Cheremetiev, son infirmier personnel, son majordome, sa nounou, qui veille sur lui depuis six ans, dans ce qui ressemble à un goulag d’un nouveau genre, avec dévouement, sérieux, respect, même une sorte d’affection. Et une totale intégrité.
Jamais, par exemple, il ne se serait permis de prendre l’une des 300 montres, parmi les plus luxueuses et les plus chères du monde, dont Vladimir a oublié le nombre et la valeur. Jusqu’au jour où son neveu Paul, dit Pacha, un jeune idéaliste et dissident politique, se livre, sur son blog, à une violente charge contre le nouveau président, Lebedev. Il est emprisonné. Il faudrait 300 000 dollars pour graisser quelques pattes, le faire libérer. Cheremetiev ne possède bien sûr pas cette somme, à moins que, encouragé par son propre fils, Vassia, un bon à rien plus ou moins mafieux, il ne vole et vende quelques Rolex, Bréguet, Tiffany ou Patek Philippe.
On se doute bien que tout cela se terminera mal - selon le point de vue où l’on se place. Michael Honig, lui, a choisi le jeu de massacre : à part Cheremetiev, aucun personnage n’est digne de rédemption. Pour son premier livre traduit en France, c’est un coup de maître, iconoclaste et très politiquement incorrect. J.-C. P.