Pour ce troisième roman depuis ses débuts remarqués avec L’été slovène (Flammarion 2013), le jeune Clément Bénech (26 ans) a fait fort : non seulement il conserve ce qui fait son charme, sa marque de fabrique, brio, culture, désinvolture et photographies in-texte, mais il pousse le bouchon encore plus loin. Un amour d’espion pourrait bien être le prototype du roman moderne, à destination des geeks, des moins de 30 ans, la supposée "génération Macron".
D’abord, tout y repose sur Internet et les fameux réseaux "sociaux". C’est sur Facebook que le narrateur, un étudiant qui révise ses partiels de géographie tout en regardant les matchs de la NBA - car, naturellement, il est fasciné par les Etats-Unis, et l’intrigue ne saurait se dérouler qu’à New York -, fait la connaissance d’Augusta. Une Française qui vit là-bas, a publié deux romans en français (quand même), et vient d’être engagée au New York Times. Amoureuse folle d’un certain Dragan, un critique d’art d’origine roumaine aussi brillant qu’énigmatique et discret sur son passé, elle est fort inquiète. Son boyfriend est accusé, sur Internet toujours, par un certain Cap Charlie, d’être un assassin. Elle invite alors notre héros, nourri, logé et muni d’un visa de quatre-vingt-dix jours, à la rejoindre afin d’enquêter sur Dragan.
Sur place, à Brooklyn, Augusta commence par le briefer sur son histoire d’amour. A l’époque, Dragan, qui était en couple avec Marisha, une ostéopathe roumaine qu’il n’aimait plus, s’était mis sur Tinder et en était devenu addict. C’est là qu’il avait vu le profil de la jeune femme, était parvenu à la localiser après une traque épique. Justement, elle venait de rompre avec son petit ami Henrik, un designer industriel norvégien imbuvable. Enfin, la rencontre réelle se produit. Il la séduit, se fait tatouer pour elle un signe ésotérique, elle lui apprend le français. Ils s’aiment… mais il y a les fameux messages de Cap Charlie.
Le narrateur commence alors ses investigations, à la page 189. Une filature dans les rues et le métro new-yorkais, digne des plus mauvais détectives privés. Il se fera naturellement repérer et griller par Dragan. Mais, grâce à lui quand même, le garçon consentira à tout raconter à Augusta. On n’en dira pas plus, selon l’usage, simplement que le fin mot de l’histoire remonte à la Roumanie et que la Securitate de Ceausescu y joue un rôle non négligeable.
C’est brillant, bien ficelé, abracadabrantesque, plein de digressions, et terriblement contemporain. Jean-Claude Perrier