Lam Wing-Kee, l'un des cinq employés de la maison d'édition Mighty Current qui s'étaient volatilisés fin 2015, est le premier à oser briser le silence en se confiant à la presse internationale. "
Ils m'ont donné le sentiment que j'avais été la cible d'une dénonciation pendant la Révolution culturelle”, a expliqué celui qui gère la librairie de la maison d'édition, dimanche 19 juin dans un entretien à l'AFP.
Il a raconté comment il avait été arrêté en octobre 2015 par les autorités chinoises, puis "
soumis à huit mois de torture mentale". Les yeux bandés, il avait été emmené en train près de Shanghai, où il est resté cinq mois confiné dans une petite pièce avant d'être placé sous surveillance dans un appartement.
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Ils disaient que nous publiions, vendions et expédions des livres portant atteinte aux autorités, que nous étions des réactionnaires, que je passerai 20 à 30 ans en prison jusqu'à ma mort”, ajoute le libraire de 61 ans. La maison d'édition Mighty Current est en effet spécialisée dans les ouvrages sur la vie privée des dirigeants chinois.
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Ils m'ont fait comprendre que leur pouvoir était énorme et n'était pas contraint par le respect de la loi", poursuit-il, en ajoutant qu'on lui avait dit qu'une "
équipe spéciale d'investigation” s'occupait de son cas. "
J'étais là, assis, à les regarder. Quand je disais une chose, ils en disaient 30 en tapant sur la table.”
Lam Wing-Kee a pu rentrer pour la première fois à Hong Kong mardi 14 juin, à condition qu'il récupère un disque dur contenant la liste des clients de la librairie et le rapporte jeudi en Chine continentale. Il a cependant décidé de désobéir et de briser le silence.
Manifestation à Hong Kong
Samedi, Lam Wing-Kee a pris la tête d'une manifestation d'un millier de personnes mettant au défi Pékin et les autorités locales de s'expliquer sur ces disparitions, alors que l'exécutif hongkongais est régulièrement accusé d'être la marionnette de la Chine.
L'éditeur en est convaincu, Mighty Current et sa librairie, Causeway Bay Bookstore, que Lam Wing-Kee gérait, ont été ciblés dans le cadre d'une campagne plus large pour dissuader Hong Kong de publier des titres critiques.
Si cette campagne porte ses fruits dans certaines librairies, Lam Wing-Kee s'est engagé à continuer de travailler comme auparavant. "
Il n'y a pas de livre interdit à Hong Kong, tonne-t-il.
Ici, la liberté de publication existe.”
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Je ne suis pas un héros, dit-il.
Les Hongkongais sont les héros. Tant que nous continuerons le combat, il y aura de l'espoir.”
Un libraire toujours détenu
Deux des cinq professionnels enlevés, Cheung Chi-ping et Lui Por, sont revenus à Hong Kong en mars après avoir été libérés sous caution mais sont repartis en Chine, selon les médias.
Un quatrième, Lee Bo, a dit aider de son plein gré les autorités chinoises. Il est brièvement revenu à Hong Kong en mars, avant de repartir aussitôt.
Le cinquième "
disparu”, Gui Minhai, un ressortissant suédois,
est toujours détenu.