Pour clore ses quarante ans d’édition, Jean-Marc Roberts a choisi le dernier jour du Salon du livre. Une ultime pirouette face à une manifestation qu’il n’aimait pas beaucoup et où il ne s’attardait pas.
S’il a œuvré au cœur du système éditorial et a manié en expert tous les rouages qui lui permettaient de mener ses auteurs au pinacle, il a très peu participé aux instances professionnelles, restant volontairement en marge et adoptant souvent vis-à-vis du « milieu » une posture de sale gosse, en « marque mal » qu’il était.
Les débats sur le numérique l’ennuyaient, lui qui mettait une certaine coquetterie à souligner qu’il n’avait pas d’ordinateur. Les mails, c’est son assistante qui les lisait, et il y répondait par téléphone. Car le mobile, en revanche, il l’avait adopté tout de suite.
Se méfiant des agents, peu familier des allées de Francfort, c’est avant tout à la littérature française qu’il a dédié tout son talent. Avec pour seuls maîtres l’écriture et la liberté, à laquelle il tenait par-dessus tout. « Si je soutiens un auteur, si j’aime son texte, je le publie. Et si on me refuse sa publication, je m’en vais », nous disait-il dans un entretien en septembre 2000.
Même si, selon lui, depuis qu’il était « patron » de Stock, l’éditeur avait tendance à prendre le pas sur l’auteur, Jean-Marc Roberts était aussi un écrivain exigeant et délicat. Et c’est à cette aune-là qu’on peut véritablement juger son travail d’éditeur. C’est en tant qu’alter ego qu’il pouvait obtenir de ses auteurs qu’ils aillent au plus loin dans leur travail, qu’il réussissait à leur faire exprimer toute leur singularité, quitte à leur faire prendre des risques. On l’a vu avec Christine Angot. Mais aussi, dans un autre genre, avec Philippe Claudel ou Vassilis Alexakis, proche parmi les proches. Et tout récemment avec Marcela Iacub.
Par son élégance nonchalante qui n’excluait pas une force de conviction à toute épreuve, son amour de la littérature qu’il mariait à son goût du pari et sa parfaite connaissance des règles les plus fines de son métier, il incarnait une tradition éditoriale bien française, aux exemples devenus rares à l’heure des managers-gestionnaires.
