Roman/France 7 février J.M. Erre

Depuis 2006, chez le même éditeur, Buchet-Chastel, et à raison d'un livre tous les deux ans, les années paires, J.M. Erre nous régalait de ses polars loufoques et complètement décalés, aux personnages aussi improbables que réjouissants, portés par un style jubilatoire, truffé de clins d'œil, jeux de mots et blagues de potache. Dans son genre, il avait peut-être atteint son acmé avec Le mystère Sherlock, paru en 2012 et en cours d'adaptation à l'écran. On ne sait si l'auteur, professeur de littérature et de cinéma à Sète, a mis la main à l'ouvrage. Toujours est-il que, sans doute requis par d'autres activités, ou peut-être désireux de marquer une pause dans sa production afin de réfléchir sur son travail, le Montpelliérain discret aux yeux bleus et à l'accent chantant avait passé son tour en 2018.

Ses lecteurs s'inquiétaient. Pas de bol d'Erre l'année passée. Nous voici rassurés. J.M. est de retour, et en pleine forme, avec ce Qui a tué l'homme-homard ? - et non, ce n'est pas Omar le coupable, d'ailleurs il n'y a pas d'Omar parmi ses nombreux personnages -, peut-être encore plus délirant que ses romans précédents, ce qui n'est pas rien, et tout aussi difficile à synthétiser sans trop en dire. Essayons quand même.

L'histoire se situe à Margoujols, Lozère, dans le Gévaudan, un village de 432 âmes, à la fois complètement paumé et totalement connecté. Parmi les habitants, depuis 1945, des « monstres » rescapés d'un cirque roumain, échoué là pendant la débâcle. Déjà, à l'époque, Balthazar, le directeur, avec été méchamment assassiné, poignardé, découpé en morceaux jetés aux cabinets. Or, justement, 73 ans après, l'un des cinq derniers très vieux survivants, Joseph Zimm, surnommé l'homme-homard à cause d'une malformation de ses mains, est retrouvé zigouillé dans des circonstances similaires. C'était un type immonde, mais le procédé suppose que le meurtrier, ou la meurtrière, ait un rapport avec le fameux cirque, et le sort de son ex-directeur.

Pour mener l'enquête, l'adjudant Pascalini, assez transparent, et son adjoint, le stagiaire Babiloune, beaucoup plus rigolo, et au final plus malin. Mais surtout, un personnage tout à fait hors du commun, Julie de Creyssels (comme sa voix), la fille du maire, une handicapée de 23 ans qui ne peut plus bouger qu'un doigt, le majeur, mais a toute sa tête, sa vélocité en fauteuil et une sacrée intelligence. C'est elle la narratrice, qui déclare, tandis que les cadavres s'accumulent, salement mutilés : « Une détective paraplégique, c'est assez neuf dans le polar. » Elle s'en sortira très bien, démasquant même cette mystérieuse Winona Jane, qui se présente, sur son blog, comme une « serial-killeuse ».

Tout cela est épatant, comme toujours avec J.M. Erre. Mais le plus, cette fois, c'est que Julie, son porte-voix, avec son humour à froid ironique, un brin cynique, gamberge à haute voix sur le livre qu'elle est en train d'écrire, théorisant même le genre du polar. « Un manque d'attention, écrit-il/elle, et, paf, votre récit tourne en eau de boudin [...] votre bouquin n'est pas chroniqué dans Livres Hebdo. » Eh bien si. Alors, Julie, heureuse ?

J.M. Erre
Qui a tué l’homme-homard ?
Buchet-Chastel
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19 euros ; 368 p.
ISBN: 9782283032237

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