C’est l’histoire d’un homme qui longtemps aura cherché une place sur la terre. Un homme qui n’était bien nulle part, si ce n’est un stylo (voire un verre…) à la main. Avant de se transformer en « mère pélican » de la fiction américaine contemporaine, Raymond Carver fut cet homme-là. Paré de gloire, le voilà désormais un personnage, le héros de fictions un rien sulpiciennes. On se souvient des Noceurs de Chuck Kinder (Rivages, 2006) ou, plus près de nous, de Ciseaux de Stéphane Michaka (Fayard, 2012). C’est au même type d’exercice romanesque que se prête Rodolphe Barry avec son Devenir Carver.
Tout commence donc à l’heure où s’éteignent prématurément les lumières du bal. Fin du printemps 1988, Raymond Carver vient d’avoir 50 ans. Il n’ira pas plus loin. Comprenant qu’aucun traitement ne viendra désormais à bout du mal qui le ronge, il entreprend un ultime retour vers ceux qu’il aime, ses parents (et singulièrement son père, dont il partagea le nom, l’addiction à l’alcool, le caractère rêveur et peut-être aussi une propension à la dépression dont il sut, lui, faire un outil au service de son art), ses enfants, ses amis (les vrais et les faux, Richard Ford ou Gordon Lish), Maryann, sa première femme, celle des temps difficiles, Tess, la seconde, celle du temps de la reconnaissance.
Pour ce « biopic » d’un héros américain, Rodolphe Barry, que l’on ne connaissait jusque-là que pour un livre et un film consacrés à Charles Juliet, fait le pari d’une belle frontalité. Là où il aurait pu s’enliser dans les pièges d’une pieuse reconstitution, il parvient au contraire à rendre à cette vie vécue comme un brouillon magnifique, son caractère morcelé, tragique, magnifique. Carver traquait l’ombre de Tchekhov ; Barry cherchant Carver nous amène quelque part du côté de chez Cassavetes. On y est en bonne compagnie.
O. M.