Jusqu’à la fin des années 1940, Albert Camus (1913-1960), s’est refusé à évoquer un épisode de sa jeunesse, bref certes, mais important dans son parcours, pour l’évolution de sa pensée et ses engagements politiques : son adhésion, de l’automne 1935 à l’hiver 1937, au Parti communiste algérien, "antenne" du PCF.
Rien de honteux, pourtant. A cause de ses origines sociales modestes (il parlera de "misère"), de sa fréquentation des indigènes, souvent tenus à l’écart des "bienfaits" du colonialisme, voire victimes de racisme, le jeune Camus a développé très tôt un profond "goût de la justice". S’ajoutait sa fervente admiration pour Gide et Malraux, ses maîtres à penser, qui deviendront plus tard ses amis et ses éditeurs, tous deux engagés dans la lutte antifasciste, et "compagnons de route" des communistes sans avoir jamais été encartés. Et enfin, les grands espoirs engendrés par la victoire du Front populaire, qui promettait de "changer la vie". On sait ce qu’il en advint. Gide revint de l’URSS et du communisme. Ensuite, la guerre d’Espagne, le pacte germano-soviétique révélèrent toutes les ambiguïtés de la politique de Staline, relayée par les PC occidentaux. Camus, inscrit à la cellule du Plateau, celle des intellectuels d’Alger, a été un militant sincère et actif. Il a écrit des articles pour la presse du parti, et, surtout, consacré toute son énergie au théâtre du Travail, dont il fut le directeur. Une entreprise inspirée du Vieux-Colombier, de Copeau, où il monta une adaptation du Temps du mépris de Malraux en janvier 1936. Révolte dans les Asturies, en revanche, fut interdit par le maire d’Alger, par crainte de "troubles de l’ordre public". Le théâtre avait aussi une dimension sociale : alphabétisation, mixité… qui débouchera sur l’Université ouvrière et le Collège du Travail, officines de la CGT. Camus y participera au début.
Car, fin 1937, après avoir déjà subi quelques semonces, le bouillant jeune écrivain, qui publiera peu après son premier livre, Noces, chez l’éditeur Charlot, acteur majeur de la vie culturelle algéroise et algérienne, est exclu du PCA pour "trotskisme", au terme d’un mini-procès dans la plus pure orthodoxie stalinienne. Dire qu’il y était "allé" par "esprit de religion" ! Après l’illusion lyrique, la chute. Camus le "gauchiste" n’avait pas accepté les accommodements du PCA (ni du PCF) avec le colonialisme, au nom du réalisme antifasciste.
Toute cette histoire, qui nourrira en partie son roman L’homme révolté (paru en 1951), Christian Phéline et Agnès Spiquel-Courdille en font un récit méticuleux voire complexe (les arcanes politiques algéro-algériens sont plus qu’abscons), en tout cas exhaustif. J.-C. P.