"Il y a en chaque homme un caméléon qui fait cohabiter en lui différentes identités." Telle est la force de l’écrivain Boualem Sansal, aimant adopter de multiples styles pour se glisser dans la peau de divers personnages. Cette fois, il prend les traits d’une victime des attentats de Paris. Avant qu’elle ne passe de vie à trépas, elle transmet à sa fille l’histoire d’Ute von Ebert, témoin d’une époque inquiétante.
L’habitante d’Erlingen assiste impuissante au déclin de cette prestigieuse société allemande, menacée par un ennemi terrifiant. "Cet envahisseur qui est partout mais de nulle part, c’est le grand mystère de l’affaire. Nous souffrons de cette absence de guerre frontale et destructrice qui nous aurait galvanisés." Au lieu de cela, le peuple attend un train fantôme. Il passe de "l’affolement à l’abattement" en subissant une dictature religieuse. L’écrivain nous bouscule une fois de plus en pointant les manipulations au nom de la religion. Une façon à peine voilée de dénoncer l’islamisme radical, pouvant mener au terrorisme. "C’est quoi cette croyance qui regarde l’abîme plutôt que le ciel ?"
Peu importe le visage du Mal, d’hier ou d’aujourd’hui, "l’Histoire se réécrit dans les mêmes termes. Ce n’est pas normal de cacher à l’humanité combien elle est dangereuse pour elle-même." Surtout lorsqu’elle est confrontée à la tyrannie religieuse ou socio-économique. "Si on enlève à un homme le souci de sa sécurité et celle de son pays, il n’est plus un homme mais un mouton." Un danger qui nous guette tous les jours…
Dans la veine de 2084 (Gallimard, 2015), ce roman-ci dénonce les pièges de l’inertie. "En est-il qui sonnent le tocsin, haranguent les foules, appellent à dresser les barricades ?" A travers une construction complexe célébrant l’esprit de Kafka, l’auteur engagé désire "sensibiliser nos concitoyens". "[I] ls doivent veiller sur leurs convictions d’hommes libres. Commençons déjà par rester nous-mêmes." La "métamorphose" peut être individuelle ou s’avérer "un phénomène collectif, à l’échelle d’une ville, d’un pays, d’un continent". Il faut prendre le temps de le lire et d’y réfléchir en profondeur. Kerenn Elkaïm