François Hollande a déclaré fin septembre qu’il demanderait « à la majorité de gauche au Sénat de reprendre » la proposition de loi visant à réprimer la négation du génocide arménien de 1915. Le 4 mai dernier, le Sénat, alors encore à droite, a en effet repoussé une proposition de loi socialiste allant dans ce sens. Le candidat socialiste a par ailleurs souligné que Nicolas Sarkozy n’avait pas tenu sa promesse faite en 2007 aux associations arméniennes, juste avant son élection, de soutenir l’adoption de cette proposition de loi par le Sénat. La pénalisation des contestations de génocide remonte à la fin de la seconde guerre mondiale. Le 9 décembre 1948, l’assemblée générale des Nations Unies a adopté unanimement en séance plénière la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ». Les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide ont été redéfinis. Depuis 1998, la Cour pénale internationale a été instaurée dans le but de juger les auteurs de tels agissements et d'accorder une compensation aux victimes. Après avoir rappelé l’interdit, la communauté internationale a sanctionné le déni en s’opposant au négationnisme. Différentes voies peuvent cependant être envisagées en vue d’empêcher les propos négationnistes. La première consiste à utiliser les mécanismes de répression de l‘incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence raciales. Des négationnistes ont ainsi été condamnés sur ce fondement avant l’introduction d’une loi spécifique en France concernant la Shoah. Une deuxième stratégie juridique a été adoptée par l’Allemagne et par l’Autriche qui ont fait le choix d’un « antinazisme constitutionnel ». La troisième possibilité pénalise spécifiquement cette forme de discours. En France, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 interdit la négation des « crimes reconnus par le Tribunal militaire international de Nuremberg ». Elle est venue parachever le dispositif mis en place pour combattre le racisme et la xénophobie en créant spécifiquement le délit de « contestation de crime contre l'humanité ». D’où les revendications relatives aux autres génocides. Toutefois, de nombreux observateurs incontestables – dont Pierre Vidal-Naquet – ont d’emblée considéré que cette dernière méthode risquait d’avoir des effets pervers. Ils estimaient que la législation interdisant l’incitation à la haine permettait d’atteindre un objectif identique tout en maintenant la liberté de tenir des débats utiles sur la question de l’histoire contemporaine. L’expérience montre, disaient-ils, que limiter la liberté d’expression protège rarement des extrémismes (qui sévissent aujourd’hui, se présentant en martyrs, sur la toile). Devant la crainte que cette législation ne contraigne à des « vérités officielles » tout en renvoyant à une vérité historique définie par un tribunal militaire, il avait donc été lancé l’« appel des dix-neuf historiens pour la liberté de l’histoire contre toutes les lois mémorielles ». Rappelons que, sous la pression de l’URSS, le tribunal de Nuremberg avait retenu, parmi les crimes perpétrés par les nazis, le massacre de Katyn alors que, déjà à l’époque, personne n’ignorait que les soviétiques en étaient responsables ; ce qu’ils ne reconnaîtront que beaucoup plus tard, à l’époque de la « glastnost » de Gorbatchev. Pour les défenseurs de la loi Gayssot, ériger une « loi mémorielle », c’est éviter le piège d’avoir à transférer aux autorités judiciaires un pouvoir d’établissement de la « réalité » de l’histoire. Le risque est évidemment d’induire une réelle impunité en « faveur » des négationnistes d’autres génocides. Exclus, par exemple, les victimes des répressions coloniales, dont les Tasmaniens, massacrés jusqu’aux derniers (le cadavre empaillé de la dernière Tasmanienne, morte en 1877, a été exposé dans un musée de Hobarth jusqu’en 1947, entre un loup de Tasmanie et un ornithorynque) par les colons blancs ; Exclues également les victimes de l’esclavage que le Code noir définissait comme « biens meubles » et non comme personnes ; Exclus pareillement les cent milles civils malgaches massacrés par les troupes coloniales en 1947… Dans deux articles du Monde des 16 novembre 1993 et 1 er janvier 1994, un orientaliste anglo-américain, Bernard Lewis, publiait un entretien puis un article où il niait formellement le génocide arménien. Il n'a pu être poursuivi que par le biais des lois existant à l’époque de ses dires. Son avocat a revendiqué « le droit pour son client de critiquer une vérité officielle (…) C’est la définition même de la liberté d’expression ». En octobre 2006, l’Assemblée nationale française adoptait en première lecture une loi qualifiant de délit la contestation de l’existence du génocide arménien de 1915. Visant à compléter la loi française de 2001 reconnaissant ce génocide, ce texte a été finalement repoussé en 2008, une fois l’élection présidentielle passée. Car en matière de génocide arménien, la vérité juridique demeure toujours largement tributaire… des relations diplomatiques et commerciales qu’entretiennent la France et la Turquie.