S'il est bien un homme qui met en pratique l'adage "il faut cultiver notre jardin", mais sans pour autant se désintéresser du sort de la planète, c'est bien Didier Decoin. Aidé de sa femme Chantal, qui met la main à la glaise tandis que son écrivain de mari, lui, aurait plutôt tendance à rêvasser, sécateur à la main. Dans le jargon des jardiniers, on appelle ça "faire Marie-Antoinette". C'est joli, et bien agréable.
L'âge venu, Didier Decoin a eu envie de rendre hommage à tous les jardins de sa vie. Celui de Bagatelle, tout d'abord, en face duquel il est né, et qui lui a servi toute son enfance de cour de récréation. Puis ceux de ses maisons : celui de la demeure familiale de Chaufour, dans les Yvelynes, et celui de La Roche, près de La Hague, Cotentin, son deuxième chez-lui. Deux "petits jardins", mais à la façon dont il en parle, avec amour et précision (voire érudition), on les pressent superbes.
Les Decoin sont membres de La Cinquième Saison, une association de doux dingues, fondus de jardins et de roses, qui se retrouvent régulièrement pour aller visiter les plus sublimes jardins du monde, outre-Manche surtout. L'Angleterre est la terre promise des horticulteurs. A leur suite, on explore ainsi Westwell Manor, dans l'Oxfordshire, un château Tudor du XVIe siècle, ou bien Sissing-hurst, dans le Kent, château et jardins qui furent ceux de Vita Sackville-West, l'amie de Virginia Woolf (entre autres), ou encore le cimetière de St Just in Roseland, dans les Cornouailles, le plus beau du monde selon l'écrivain. En sa compagnie, et celle du maître Alain Baraton, on visite les toits de Versailles, parce que "c'est beau un jardin, la nuit", ou le jardin anglais "orphelin" de la villa des Noailles à Grasse.
Decoin est un hédoniste. On se balade, mais on déguste aussi. Des abricots ("cul d'ange », disait Ponge), des quetsches, ou encore du gingembre, dont il nous enseigne qu'il est indispensable pour préparer la meilleure caipirinha du monde. Decoin est un grand lecteur. Au fil des pages, il évoque Jules Verne qui enchanta ses jeunes années. Octave Mirbeau qu'il "aime beaucoup ». Outre que l'auteur coquin du Journal d'une femme de chambre possédait et entretenait pas moins de dix jardins, que c'est à son couvert que celui de John l'Enfer, prix Goncourt 1977, a ensuite été élu à l'académie éponyme, Mirbeau est l'inventeur d'une histoire de cucumis fugex, un concombre fugueur, qu'il aurait vu détaler de nuit dans un jardin de Granville ! Tout cela est fort réjouissant.
Mais traiter du jardin sous forme d'une "autobiographie déguisée » permet aussi d'aborder des sujets plus graves, si l'on ose dire. La vie, la mort, le renouveau que Didier Decoin, croyant à la façon d'un Christian Bobin - qu'il salue au passage -, compare à la résurrection du Christ. L'automne le déprime. Sa saison préférée est le printemps. Ça tombe bien : Je vois des jardins partout paraît justement le lendemain du printemps. Un petit Decoin de paradis dans un monde de béton - conçu pourtant, paraît-il, par un Dieu qui était aussi jardinier d'Eden.