Poète, essayiste, critique d’art, spécialiste d’Arthur Rimbaud à qui il a consacré une dizaine d’ouvrages, Alain Borer est surtout un fou de littérature, un bel écrivain amoureux de son outil de travail, la langue française. Il met aujourd’hui ses semelles de vent dans les pas d’Etiemble, lui aussi fervent rimbaldien, et auteur, en 1964, d’un Parlez-vous franglais ? qui fit date, essai aussi jubilatoire que prémonitoire mais, hélas, resté sans effet. Le professeur au Collège de France y dénonçait déjà les menaces que fait peser sur notre langue, le bien le plus vital de notre patrimoine commun et universel, l’invasion massive, bête et incontrôlée d’anglicismes au détriment de la richesse et de la créativité de notre propre dictionnaire.
Force est de constater que, cinquante ans après, la tendance, entretenue par des irresponsables souffrant du complexe de Panurge, n’a fait que s’accroître pour atteindre des proportions dramatiques. "C’est Azincourt dans la langue !" écrit Borer, avec son sens de la formule. Ou encore : "les Français parlent français deuxième langue". Et de stigmatiser, dans un constat accablant, cet "englobish" invasif et pernicieux qui non seulement participe du charabia généralisé dans les médias, la pub, la finance, le sport, voire la politique, mais tend à remplacer petit à petit le français, dans une stratégie de type colonial. Borer multiplie les trouvailles, ainsi ce qu’il appelle des "mots silures" qui dévorent les autres, comme coach ou cash. Face à cette situation, les pouvoirs publics ont abdiqué, se contentant d’un "sous-ministère de la Francophonie […], c’est comme si on avait créé une délégation de la Résistance à l’Hôtel du Parc".
Le docteur Borer ne se contente pas de diagnostiquer, il monte au front pour essayer de soigner, grâce à son "petit manuel pratique de résistance en langue française". Une liste de conseils facilement applicables par chacun d’entre nous, à l’écrit comme à l’oral : veiller à accorder les participes, à avoir une diction claire, à faire les liaisons, à ne pas gommer les négations, et, surtout, utiliser systématiquement les mots français usuels dont nous disposons à la place d’expressions anglo-saxonnes absurdes. Mort à l’access prime time, haro sur les titres de films ou les slogans publicitaires que leurs promoteurs ne daignent même plus traduire en français. Et "interpellons les politiques […] qui portent tous, sans aucune exception, conclut Borer, une responsabilité écrasante dans le collapse de la langue en cours". Le sursaut citoyen contre la démission, Villers-Cotterêts contre Wall Street. Superbe défi. Jean-Claude Perrier