Contrairement à ce que son titre peut laisser croire, Lausanne n'est pas un roman suisse, mais bel et bien un roman espagnol. L'Andalou Antonio Soler, dont c'est le sixième livre publié par Albin Michel dans sa collection "Les grandes traductions", dépayse sur les rives du Lac Léman ses thèmes de prédilection : l'Espagne du sud, l'exil, la guerre civile et les ombres d'un passé qui fait souffrir...
La narratrice, Margarita, est dans un train pour Lausanne où elle va rendre visite à son fils et sa belle-fille. Elle a laissé pour quelques heures son mari, Jesus, malade condamné, dans une chambre d'hôtel à Genève où ils sont venus de Lyon pour consulter un spécialiste. Au rythme de ce court voyage ferroviaire, elle fait défiler sa vie, une vie dont elle lit les traces sur les visages des passagers : une femme assise derrière elle lui évoque son ancienne amie Suzanne, une violoniste au charme toxique, morte aujourd'hui, qui fut, trente ans plus tôt et pendant sept ans, la maîtresse aimée de Jesus. Déroulant ce fil, l'épouse trompée revoit son enfance de fille unique auprès d'un père réfugié en France dans les années 1940 et d'une mère aigrie. Une vie conjugale sans élan et sans grâce auprès du "Fraiseur Vila", employé de la fabrique paternelle de vis et d'écrous. Une maternité frustrante. Et, épine douloureuse fichée au coeur de tout ça, la trahison endurée dans une jalousie muette. Derrière le décor policé de ce train suisse, le paysage intérieur de Margarita est un champ de vieilles batailles jonchées de combattants défaits. Comme dans Le sommeil du caïman, publié en 2009, où, à Toronto, un ancien des luttes anti-franquistes exilé retombait sur une vieille connaissance, la septuagénaire est rattrapée par le passé auquel la distance, qu'elle soit géographique ou temporelle, donne des miroitements ambigus...
Dans les romans du loué et primé Soler - son Chemin des anglais, prix Nadal 2004, a été porté à l'écran en 2006 par Antonio Banderas -, les voyages dans le temps, au pays des fantômes, ont souvent des relents de mélancolie amère. Et les passagers, comme l'observe cruellement Margarita, des airs d'"astronautes assoupis et ridicules".