"Jamais je n’aurais pu faire une chose pareille de sang frais." Il dit frais, pas froid. Tout est dans ce lapsus, dans cette misère faite d’alcool et de fureur qui conduit un homme à tuer le 27 octobre 1975 Cathy Petit, 10 ans, qu’il voulait violer. On retrouve la fillette noyée, le visage dans la vase que le prédateur avait maintenu pendant plusieurs minutes. Cela se passe à Arleux, dans le Nord, près de Douai. Tout le monde se connaît et tout le monde connaît Jérôme Carrein. C’est un poivrot, un déclassé. Sa mort est réclamée.
Luc Briand maintient la tension d’un bout à l’autre sur cette affaire oubliée. Trivialement, elle se résume à un fait divers sordide. Socialement, elle révèle beaucoup sur une France des Trente Glorieuses, pas toujours si éclatantes que cela. Le 20 janvier 1977, à Troyes, Patrick Henry vient d’échapper à la peine de mort pour l’enlèvement et le meurtre du petit Philippe Bertrand, âgé de 7 ans. A Douai, après un délibéré de moins d’une heure, la tête de Carrein n’échappe pas à la peine capitale. "Carrein a payé pour Henry et Douai a vengé le tueur de Troyes", écrit Sorj Chalandon qui couvre le procès pour Libération. Seize jours après la condamnation à mort de Carrein, Christian Ranucci est guillotiné pour le meurtre d’une fillette de 8 ans.
Luc Briand ne refait pas l’enquête, il ne cherche aucune circonstance atténuante. Ce magistrat, dont c’est le premier livre et qui manifeste de réelles qualités d’écriture, veut seulement comprendre les raisons d’un verdict. Il a pour cela épluché le dossier de la procédure, rencontré les acteurs de l’affaire comme le juge d’instruction Michel Defer ou Michel Chevalier, le fils du bourreau qui a assisté à l’exécution. Il a aussi interrogé Robert Badinter, défenseur de Patrick Henry.
Alors oui, la misère, on l’a dit, est un indicateur. Mais ce conseiller à la cour d’appel d’Aix-en-Provence montre aussi cette France des années 1970 qui a peur et qui se laisse guider par elle. Carrein n’est pas un enjeu comme Patrick Henry le fut pour Robert Badinter. On ne peut faire d’un alcoolique une figure de l’abolition, et encore moins lorsqu’il est un assassin d’enfant. Luc Briand raconte la marche inexorable d’un homme vers la mort, un homme dont le dossier faisait quinze centimètres d’épaisseur. Autant dire une feuille de papier à cigarette à l’aune de son espérance de vie. L. L.