5 mars > Roman Chine

Né en 1958, Liu Zhenyun est considéré par la critique comme l’un des maîtres du "nouveau réalisme", qui traite, sous le couvert de la fiction, de la Chine d’aujourd’hui, sans indulgence, et débarrassé de la gangue du "réalisme socialiste". Il est en particulier connu pour Le téléphone portable, paru en Chine en 2003, adapté au cinéma par Feng Xiaogang, et qui sera publié prochainement dans "Bleu de Chine" chez Gallimard.

"La Chine manque de tout, mais certainement pas de cadres", s’exclame à un moment l’un des personnages de Je ne suis pas une garce, lui-même petit juge dans une ville de province. Et c’est à ce "mammouth", sans doute la pire bureaucratie du monde, que va s’affronter, durant toute sa vie, Li Xuelian, l’héroïne de Liu Zhenyun, une modeste paysanne du fin fond du pays, incarnation du peuple chinois, pas particulièrement rebelle, mais qui ne supporte pas l’injustice, au point de devenir une pasionaria, une "Pan Jinlian".

Au début du roman, Xuelian a 29 ans. Elle est mariée depuis huit ans à Qin Yuhe, chauffeur de camion, un sale type, avec qui elle a eu un fils. Mais, par malchance, elle s’est retrouvée une seconde fois enceinte, d’une fille, contrevenant ainsi à la sacro-sainte loi de "l’enfant unique", dont la Chine vieillissante est en train de subir les conséquences. Pour éviter les sanctions, le couple divorce, subterfuge fréquent chez les parents trop féconds. Sauf que, au lieu de faire semblant, le mari volage en profite pour épouser une autre femme, plus jeune bien sûr.

Li Xuelian se rend donc au tribunal afin de porter plainte, de récupérer son mari puis de divorcer pour de vrai. Elle se heurte à un premier juge, perd son procès, et décide de ne pas en rester là. Elle remonte les échelons de la hiérarchie des fonctionnaires, tous plus ou moins corrompus, incapables, veules, jusqu’à des préfets, des gouverneurs, en vain. Tout le monde éconduit cette enquiquineuse ingérable qui, durant vingt ans, montera même jusqu’à Pékin au moment de la réunion de l’Assemblée nationale populaire. Il lui faudra passer par bien des tribulations, subir nombre de lâchetés, de mensonges, de trahisons, et même la prison, pour parvenir, enfin, à se libérer de son fardeau. Mais elle aura gâché toute sa vie, dans une quête aussi juste qu’impossible, seule contre la formidable machine administrative de son pays, héritée de la Chine impériale et renforcée par soixante-cinq ans de maoïsme. C’est drôle, cruel. Réaliste. J.-C. P.

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