Aux âmes bien nées, la tristesse, la rage n’attendent pas le nombre des années. Ainsi de Rory Dawn Hendrix, cette gamine de Reno, Californie, qui au grand jeu des débuts dans la vie n’a pas nécessairement tiré le bon numéro. Sa matrice à elle, vivant dans « la calle de los Flores », un terrain sinistre de mobile homes et de caravanes, c’est l’Amérique blanche et sale des filles perdues, des bars glauques, des laissés-pour-compte du rêve américain. Rory n’ignore pas ces handicaps de départ, mais confusément, maladroitement, elle entend que cela n’entame pas sa belle énergie. Accompagnée par les lettres qu’elle reçoit de sa grand-mère, nantie d’une mère barmaid édentée, excessive, qui pourrait bien avoir la gueule de l’avenir qui lui est promis, Rory, chouette gosse solitaire, s’en va de par les rues, son Manuel de la parfaite scoute sous le bras, psalmodiant pas après pas, « I am a heaven and hell flower » (« je suis une fleur d’enfer et de paradis »).
On n’oubliera pas de sitôt Rory, Zazie paumée dans Reno, héroïne de La fille, le premier roman de Tupelo Hassman. Hassman, la petite trentaine, est la « it girl » du moment de la scène littéraire américaine. Si elle tient les promesses de ce coup d’essai malin et empathique, elle pourrait devenir beaucoup plus que cela. Se gardant de la vulgarité d’une reconstitution néoréaliste, Hassman « colle aux basques » de sa petite héroïne dans un style vif, poétique, où l’émotion n’est pas posée en principe mais laissée au libre choix du lecteur. Cette tension narrative qui s’exprime ainsi n’est pas sans rappeler celle des premiers grands romans de Joyce Carol Oates. Une incontestable réussite. O. M.