Une page se tourne. Pour moi, en tout cas, puisque, partant à la retraite le 30 avril, je signe ici mon dernier édito. Journaliste à Livres Hebdo depuis ses débuts, j’ai partagé pendant quelques décennies les évolutions de l’univers du livre. Au début des années 1980, il a quitté avec détermination le monde de l’artisanat. Puis, quelques revers sont venus tempérer l’enthousiasme pour les modèles trop formatés. Le numérique a brutalement changé la donne et rendu de nouvelles adaptations nécessaires. Celles-ci ont marqué les onze années - et quelques mois - que j’ai passées à la tête de la rédaction de Livres Hebdo. Le monde s’est transformé, notre journal aussi. L’équipe travaille désormais allègrement sur deux supports, et nos lecteurs nous lisent également sur écran et sur papier, deux modes de communication qui, pour eux, se complètent sans se concurrencer. C’est le signe que nous avons réussi la gageure de nous adapter sans perdre notre nécessité.
Devant les changements majeurs à l’œuvre, la tentation est vite à la nostalgie. Pourtant, malgré un regain de concentration, l’époque s’avère aussi particulièrement créative, riche de nouveaux acteurs et de tentatives osées : le livre connaît des sursauts qui le maintiennent envers et contre tout au centre des préoccupations, au cœur de la vie.
En témoigne aujourd’hui le nombre d’ouvrages passionnants - au premier rang desquels celui de Luz - qu’a paradoxalement généré la tuerie de janvier à Charlie Hebdo. Comme nous le mettons en évidence dans ce numéro, écrivains, dessinateurs, penseurs se sont donné la main pour que la barbarie n’ait pas le dernier mot. Les livres sont toujours là pour changer le monde. Et ce n’est qu’un début.
Je passe la main dans la sérénité à Fabrice Piault, qui m’a accompagnée avec fidélité et amitié pendant de longues années. Avec toute la rédaction, nous avons partagé de grands moments de plaisir, beaucoup de stress, de bons fous rires aussi. Ensemble, ils sauront permettre à la jolie frégate qu’est ce journal d’accompagner vers de nouveaux rivages un monde du livre bien décidé à garder sa place dans la formation à la culture et à la démocratie.
