Les écrivains israéliens maintiennent un lien indéfectible avec la Bible. Tantôt elle les nourrit, tantôt elle leur inspire des intrigues inattendues. Meir Shalev s’inscrit clairement dans cette tradition. Il s’interroge, de livre en livre (Le pigeon voyageur, Fontanelle), sur la question des origines, "afin que nous, de l’intérieur, nous n’oubliions jamais qui nous sommes et d’où nous venons". Aussi explore-t-il les fondements de sa terre natale et ceux qui font émerger le Mal ou l’Amour. Ce roman - superbement traduit par Sylvie Cohen - débute par un drame criminel. Un mystère qu’on a préféré taire, mais qui crée d’emblée une tension inéluctable. Des années plus tard, celle-ci est encore manifeste.
Ruta Tavori accepte toutefois de crever l’abcès d’un secret, lourdement gardé. Celui de son grand-père, Ze’ev, un roc qui fait partie des pionniers d’Israël et a contribué à la prospérité d’un "yichouv", une coopérative agricole. La famille Tavori y est redoutée et respectée, tant cet homme borgne a marqué les esprits. "Il était une fois un petit garçon nommé Grandpa Ze’ev, il habitait une maisonnette dans un village perdu." Pourquoi s’est-il transformé en un être acariâtre et revanchard, ne se séparant jamais de son "vieux Mauser, une arme lourde et précise" ? Quelle est sa véritable histoire ? En quoi est-elle étroitement liée à sa femme ?
"La vérité ne brille pas au grand jour, mais se cache dans les replis intérieurs où le ver du soupçon ronge l’âme et érode le corps." Elle entraîne des désastres irréversibles, que même les astres n’avaient pas prédits. Les Tavori sont-ils maudits ? Professeure biblique, la narratrice Ruta se pose la question lorsqu’elle est elle-même frappée par une tragédie. Un deuil impossible qui plonge la famille dans la stupeur. Si le mari de l’héroïne s’emmure dans le silence, son grand-père Ze’ev se retrousse les manches pour faire triompher la vie, mais que cache-t-il au fond de lui ? "La vérité n’est pas absolue… Il s’agit avant tout d’amour, de haine, de naissance, de mort, de vengeance et de chroniques familiales." Autant d’ingrédients composant ce roman magistral. On ne s’y engouffre pas aisément, à l’image de la terre d’Israël qui a émergé du désert pour faire éclore des fruits juteux.
Kerenn Elkaïm