"Bienvenu dans notre QG de campagne !", chantonne Mathieu Sapin. Sur la table, tandis que s'entassent pêle-mêle affiches présidentielles et pré-programmes, entre les croissants et le dernier livre de François Hollande (Affronter, Stock), six illustrateurs de bandes dessinées croquent l'instant sur leurs carnets de dessins. Mathieu Sapin, Louison, Dorothée de Monfreid, Kokopello, Morgan Navarro et Lara forment ensemble un collectif en vue de la création de Carnets de campagne, une BD dont la sortie est programmée le 13 mai. Co-éditée de façon exceptionnelle par Dargaud et le Seuil, deux maisons du groupe Média-Participations, elle portera sur la campagne présidentielle 2022 avec pour seul fil rouge l'actualité de chaque parti vue de l'intérieur.
Se réunir pour mieux régner
Afin de couvrir un maximum de partis politiques, le collectif s'est réparti les principaux candidats. Dorothée de Monfreid suit Yannick Jadot, Kokopello, le seul qui porte une veste, est du côté de Valérie Pécresse, Lara s'est vu attribuer Jean-Luc Mélanchon (et Fabien Roussel), Louison reste fidèle au PS avec Anne Hidalgo (et éventuellement Christiane Taubira), Morgan Navarro a hérité de Marine Le Pen et Eric Zemmour et enfin, Mathieu Sapin s'offre l'éventuel candidat Emmanuel Macron. De cette façon, chaque illustrateur pourra aller au plus près du parti et de la campagne pour le raconter en 40 pages chacun. Soit un total de 240 pages à écrire et dessiner où chaque style se mélangera. Des collaborations à plusieurs sur une même planche sont ainsi envisagées pour les temps médiatiques forts comme les débats télévisés et des comités de rédaction seront organisés régulièrement. "L'idée est que l'on travaille ensemble et pas chacun dans son coin comme cela se fait dans certains ouvrages collectifs.", explique Mathieu Sapin, l'auteur du Château : une année dans les coulisses de l'Elysée.
Les auteurs de "Carnets de campagne"
Tout est dans le détail
A l'origine du projet, initié en juin dernier, l'envie de raconter autrement la campagne présidentielle, de façon chronologique, et avec une dimension humoristique. Ni commentateurs, ni militants et encore moins analystes politiques, les auteurs cherchent à parler des présidentielles à travers leur regard. "Nous voulons raconter les à-côtés, toute cette organisation humaine dont on ne se doute pas aux premiers abords", explique le dessinateur du Canard enchaîné, Lara, impressionné par la foule de jeunes au meeting de La Défense de Jean-Luc Mélenchon en décembre dernier. "Ces détails, on les ressent d'autant plus qu'on est candide face à tout ça", poursuit Dorothée de Monfreid, la créatrice de la bande dessinée Ada et Rosie.
C'est grâce à un travail de terrain que cette "belle alliance" souhaite raconter de façon personnelle cette campagne 2022. Meetings, entretiens, déplacements, débats diffusés dans un bar de quartier... ils ne se refuseront aucun lieu quitte à s'éloigner des institutions. "Même un débat durant un repas de famille peut être intéressant !", lance Louison qui a déjà suivi François Hollande lors de son mandat pour sa BD, Cher François. De son côté, Morgan Navarro, qui est en charge des partis d'extrême droite, a déjà été impressionné par le ballet de journalistes autour des candidats. "Quand Zemmour est arrivé à son meeting, la mise en scène était incroyable. Il est entré sur une musique de Rocky ou quelque chose du genre puis, une foule de journalistes s'est jetée sur lui, c'était hallucinant", raconte-t-il, fasciné.
Scénario incertain
Les six compagnons ont déjà pris contact avec chacune des équipes. Ils ont déjà suivi les premières étapes de la campagne : l'intrônisation d'Anne Hidalgo, la primaire de Les Républicains, les premiers meetings... Il n'y a pas eu de réelles difficultés à convaincre les candidats. Valérie Pécresse a ouvert sans réticences les portes à Kokopello, Louison est dans les radars d'Anne Hidalgo, Mathieu Sapin a de bons contacts chez LREM. Tous s'accordent sur un point : ils ne sont pas journalistes ni photographes, en cela ils attirent moins la méfiance et ne sont pas soumis au contrôle de l'image ou de la parole. Le dessin impose un autre rapport humain avec les personnes croquées, souvent flattées. Et le rapport au temps est également différent. Pour ne rien dévoiler avant la parution de l'album, les dessinateurs ne publieront rien d'essentiel durant la campagne, même s'ils s'autorisent quelques teasers sur leurs réseaux sociaux individuels (avec un mot clé : #carnetsdecampagnebd).
Mais la principale difficulté est narrative. Il s'agit de rendre cohérent cet ensemble écrit en temps réel. Pour l'instant, un des candidats n'a pas annoncé officiellement annoncé ses aspirations. De même, on ne sait toujours pas à gauche qui de Christine Taubira ou Anne Hidalgo prendra la main sur la gauche sociale-démocrate. Et quid des candidats qui n'ont pas encore leurs parrainages? Certains événements disparaîtront, d'autres devront être repris et approfondis. Difficile de trier sur le vif l'essentiel de l'écume médiatique. Kokopello a déjà resserré sa partie sur la primaire du parti Les Républicains. "Il faut que ce soit rythmé" explique Mathieu Sapin. Il précise que les séquences seront découpées en une à cinq pages. En écrivant et dessinant au jour le jour cette campagne au drôle de tempo, ils doivent produire un peu plus que leurs 40 pages... et livrer les derniers dessins le 26 avril, deux jours après la proclamation du vainqueur. L'ultime cahier pourra alors partir chez l'imprimeur pour une mise à l'office au moment de l'investiture de celui ou celle qui s'installera (ou restera) à l'Elysée.
Face à tant d'incertitude et une actualité toujours plus bruissante, les six auteurs savent qu'ils devront faire preuve d'adaptation " C'est finalement assez excitant car nous ne savons rien, nous avançons comme tout le monde au jour le jour !", conclut Mathieu Sapin.