Françoise-Sagan, Marguerite-Duras, Italie… À Paris, les fermetures de bibliothèques pour cause de mouvement social ou de locaux inadaptés se multiplient depuis plusieurs semaines. À Parmentier, dans le XIe arrondissement, des bibliothécaires ont été en grève trois jours la semaine dernière. D’après un document interne, des pics de plus de 1500 ppm de CO2 ont été constatés dans les bureaux. Selon la Haute autorité de la santé publique, une « concentration de 1500 ppm” témoign[e] d’un confinement de l’air non acceptable ». Interrogée sur ce point par Livres Hebdo, la direction des affaires culturelles (DAC) estime que « les mesures de la qualité de l’air effectuées au sein même de la bibliothèque Parmentier montrent une situation qui ne présente pas de danger pour la santé des agents ».
Une réponse à rebours d’un mail de l’Inspection Santé Sécurité au travail que nous a transmis une source interne et selon lequel « le rapport pointe clairement un apport d’air neuf insuffisant tel que mesuré au moment de l’audit et les capteurs CO2 déjà posés indiquant des résultats supérieurs à 1500 ppm. » « Je maintiens donc ma position, à savoir qu’en l’absence d’éléments plus récents indiquant l’inverse (rapport de vérification et nouvelles mesures de CO2), il convient de prendre des mesures conservatoires au titre de votre obligatoire générale de prévention des risques », complète l'inspectrice autrice de ce mail.
La Ville a bien commandé un audit, accordé aux grévistes une diminution de l’amplitude des horaires d’ouverture, et donné des consignes à l’équipe « pour réorganiser les espaces de travail et augmenter au besoin la ventilation », nous précise la DAC. Après analyses du service de l’énergie de la direction des constructions publiques et de l’architecture (DCPA), des travaux devraient être effectués « très probablement aux vacances de printemps, au regard des délais de livraison des menuiseries, notamment ». Comme le remarque un délégué syndical, la Ville essaie désormais de limiter les climatiseurs gérés en externe, en privilégiant tout simplement des fenêtres avec loquet, pour une aération naturelle.
Chauffage et ascenseurs en panne
La médiathèque Françoise-Sagan a de larges fenêtres… « mais il y fait un froid glacial », commente un agent. Elle vient de rouvrir après plus d’un mois de fermeture. « Sauf que ce sont des chauffages d’appoint qui ont été mis en place ! Et l’air n’est pas assez renouvelé. Mais la Ville s’est engagée à des travaux », selon un représentant syndical.
À Jean-Pierre-Melville, dans le XIIIe arrondissement, le chauffage fait aussi des siennes, sans parler des ascenseurs : l’un est en panne depuis huit mois, le second depuis trois semaines, nous rapporte un bibliothécaire. Après des portes closes et une grève, l’établissement sur cinq niveaux accueille aujourd’hui les habitants sur des horaires quasi normaux. Mais plus difficilement les personnes à mobilité réduite.
À Italie également, « l’ascenseur ne fonctionne pas depuis Jésus », souffle un syndicaliste. Sans parler des soucis d’infiltration. « L’étanchéité est un problème récurrent des bibliothèques », confirme un représentant de la CGT. « Les infiltrations d’eau sont un grand classique, opine un homologue d’un autre bord. À Italie, cela fait dix ans qu’elles sont connues. Mais là, grèves deux fois de suite, et des travaux sont décidés ! »
Départ d'incendie
La double complication panne d’ascenseur-infiltrations touche aussi la médiathèque Marguerite-Duras, où une armoire électrique a par ailleurs pris feu. « Mais la lenteur administrative fait qu’entre la commande des pièces de remplacement, le délai de leur réception, le chantier de réfection, les tests de sécurité, on en a encore pour cinq semaines, au bas mot », évalue un porte-parole de la CGT.
Quant aux infiltrations, « ce n’est pas un filet d’eau, mais de grosses gouttes, qui obligent à mettre tous les soirs une bâche sur les collections sous le toit », poursuit-il. L’eau entre aussi par le sous-sol : « Les agents sont obligés d’aspirer l’eau et de vider des seaux…».
Complexité administrative
Et ironiquement, l’eau courante a déjà manqué. « Un mois avant la fermeture, on a eu une coupure générale de l’eau. On est restés deux jours ouverts au public, en achetant des bouteilles et en le redirigeant vers l’hôtel avec lequel on partage le site », décrit un médiathécaire. Un hôtel qui complique cependant la résolution des incidents, comme les logements privés situés au-dessus : « Ça doit coincer au niveau de la gestion du bâtiment », analyse-t-il. « L’architecte a son mot à dire. Faire des travaux nécessiterait de reconnaître que le bâtiment a été mal conçu, ce qui engage sa responsabilité civile », esquisse un autre. À Parmentier, il faut mobiliser les services de ventilation, chauffage, services locaux d’architecture, bureau des risques professionnels de la Ville, et élucider avec les deux autres propriétaires du site quelles gaines aspirent de l’air en hauteur. Ce qui suppose de coordonner tout ce petit monde. « La DAC n’est pas proprio de ses bâtiments ni maître de ses calendriers », soupèse un responsable syndical Supap-FSU, et bibliothécaire.
Il est rejoint par un troisième syndicaliste : « On hérite de situations… La DAC n’est pas forcément responsable de tout ça. Des histoires de fuites d’eau en raison des logements au-dessus ou de travaux pas bien effectués, on en a des pelletées ». Il mentionne les trous percés pour accrocher des panneaux solaires sur le toit de la médiathèque James-Baldwin. « Et l’entreprise a pété les plafonds. »
Dette publique
La médiathèque James-Baldwin est sujette à d’autres couacs. Le nouveau site à l’architecture se voulant écoresponsable a installé des portes coupe-feu en bois. « Mais pour qu’elles coupent le feu, il faut qu’elles soient épaisses, donc elles sont tellement lourdes que les gosses ne peuvent pas les ouvrir », déplore un intéressé. Qui enchaîne sur les toilettes handicapées « pas aux normes : les portes sont dans le mauvais sens. Il va falloir les changer, ça va nous coûter une fortune ». Cerise sur la gâteau : « Il y fait un froid de gueux ! »
Plus généralement, la Ville, avec sa dette tablée sur 9,3 milliards d'euros fin de 2025, manque de budget pour entretenir ses bâtiments. « C’est une question de priorités. Pour la Ville (dont dépend la DAC), l’entretien des écoles et des Ehpad semble plus urgent et important que les bibliothèques », oppose un délégué syndical. Qui raconte avoir dû mettre plus de cinq ans pour parvenir à faire changer des fenêtres. « Tu peux faire grève et gueuler, c’est un budget colossal. Et faire un marché, c’est des mois et des mois et des mois. Heureusement, il n'y pas de problème bâtimentaire grave. Quand il y a des problèmes de sécurité par exemple, on obtient immédiatement des travaux de mise aux normes. » En mettant la patience des bibliothécaires à l'épreuve.
Auprès de Livres Hebdo, la Ville a tenu à rappeler que « la santé de ses agents et agentes est une de ses priorités et que tout est mis en place afin de l’assurer au quotidien ».