Les poings dans les poches. En 2023 paraissait chez FRMK Un et demi, un drôle de petit livre compact comme un pavé. Il était signé Valfret (de son vrai nom Cyprien Mathieu), un auteur originaire de Haute-Savoie installé en Belgique. Cet album détonnant, à la violence à peine assourdie, dépeignait une jeunesse en révolte dans un monde déliquescent. Valfret a conçu La montagne en même temps qu'Un et demi, avec l'aide de Comme le vent, amie au poétique pseudonyme. Il en reprend les thématiques et le principe d'un narrateur en voix off qui contribuait déjà à la force d'Un et demi.
Moins rageur et plus désabusé que ce dernier, La montagne est aussi plus accessible, notamment par son dessin. Plus figuratif, plus évocateur, celui-ci nous fait entrer de plain-pied dans l'environnement du narrateur, un adolescent qui rumine sur l'existence dans son village paumé au fond d'une vallée. Là, dans ce territoire qui subit la crise climatique et qui se dépeuple, le père du jeune homme se bat pour la ferme familiale, tandis que sa sœur tente de s'en sortir en choisissant des petits amis « majeurs qui ont une voiture ». Lui trompe son ennui et sa colère en cherchant du réconfort dans le sexe avec son ami Luca. « Notre programme pour redresser le pays : aller en teuf, se défoncer la gueule. » Mais bientôt Luca trouve la foi et part étudier à la fac. Le narrateur le remplace par le LSD et la beuh. Quand une conseillère d'orientation lui suggère la filière agroalimentaire, il avoue « ambitionn[er] modestement de [se] tenir le plus éloigné possible du monde du travail ». Tandis que les villes semblent, selon la radio, livrées aux émeutes, le narrateur s'enfonce dans la dépression. Pas d'avenir, pas de perspectives, que des interrogations et un sentiment d'abandon. Assommé par les aléas de la vie, le narrateur n'a pas envie d'en découdre. La nature, belle malgré tout, sera-t-elle son échappatoire ?
Sec, sans fioritures, La montagne est d'autant plus percutant que sa réalisation est sans concession. Les dessins à l'aquarelle, gouache ou aux craies de couleurs, révèlent des rues vides, des paysages abandonnés, quasi exempts d'humains - on distingue parfois le narrateur et Luca, minuscules, perdus dans le décor. Le texte est lapidaire, le langage âpre, parfois ironique. Les pires nouvelles - départ de sa mère, suicide d'un fermier... - sont annoncées sur un ton désenchanté, presque dépourvu d'émotion. La voix off égrène une poésie brutale où une sensualité crue vient parfois, brièvement, se substituer au dégoût. Mêlant implacablement l'intime et le politique, La montagne, album à la beauté brûlante, laisse malgré tout une infime place à l'espoir, « un poing serré dans une poche de pantalon ».
La montagne
FRMK
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 29 € ; 128 p.
ISBN: 9782390220527