Au printemps dernier, Hachette Livre créait la surprise en propulsant une jeune femme de 34 ans, Véronique Cardi, à la direction du Livre de poche. Signe de l’époque, qui voit arriver une nouvelle génération à des postes stratégiques. Réplique, aussi, du groupe à son concurrent Editis qui avait débauché l’ancienne patronne de sa filiale, Cécile Boyer-Runge, pour en faire la nouvelle P-DG des éditions Robert Laffont. C’est surtout un pari sur une éditrice dynamique et ambitieuse, au parcours prometteur. Car Véronique Cardi s’est rapidement fait remarquer, notamment en créant en 2012 Les Escales, au sein de First-Gründ, dirigé par Vincent Barbare, qui lui a aussi confié en 2013 la direction de "Feux croisés", la prestigieuse collection de littérature étrangère de Plon.
De défi en défi
Six mois après son arrivée au Livre de poche, elle est déjà à son affaire dans cette maison détenue à 60 % par Hachette et à 40 % par Albin Michel. "C’est un défi et une immense fierté. Une grande responsabilité aussi dont j’ai conscience, mais j’ai de l’énergie et de l’enthousiasme pour essayer de mener cette maison historique vers un avenir aussi brillant que son passé", expose-t-elle.
Pourtant, Véronique Cardi n’avait jusque-là travaillé qu’en littérature étrangère. Après des études de philosophie et d’allemand et un master d’édition à la Sorbonne, elle fait son premier stage chez Philippe Rey. "Une révélation ! Il venait de monter sa structure, c’était très stimulant" Elle intègre ensuite le département de littérature étrangère du Seuil, puis rejoint Belfond, "en pleine folie Murakami, l’année de Kafka sur le rivage [2006]. La force de Belfond, c’est de faire des succès grand public avec des livres littéraires." C’est là qu’elle acquiert un solide savoir-faire commercial. Elle y publie en 2009 Les enfants de Staline d’Owen Matthews, qui la suivra aux Escales. Lorsqu’elle rencontre Vincent Barbare, P-DG de First-Gründ, qui cherche à créer un département de littérature, elle saisit l’occasion. "J’ai eu une marge de manœuvre totale, tout en m’appuyant sur la force d’une structure comme First-Gründ." Le démarrage des Escales est immédiat : inaugurée en janvier 2012, la maison rencontre son premier succès dès le mois de mai avec L’île des oubliés de Victoria Hislop, et se distingue à la rentrée littéraire avec Quand la lumière décline d’Eugen Ruge.
Deux ans plus tard, la voilà déjà lancée dans une nouvelle aventure. "Je n’avais pas de raison d’abandonner un projet qui marchait, explique-t-elle. Mais Le Livre de poche était l’occasion de me confronter à un nouveau défi, sur un terrain de jeu démultiplié. J’avais pu faire l’expérience de la création d’une maison sur un segment grand public, avec un succès très rapide et excitant. Avec "Feux croisés", j’ai dirigé une collection historique au moment où était publié Le chardonneret de Donna Tartt. Voir débouler en tête des meilleures ventes un roman-fleuve de 900 pages, très écrit, a été très réjouissant"
Désormais, elle est aux commandes d’une "petite machine de guerre" comme elle le dit. "Je connaissais déjà l’équipe du Livre de poche, avec laquelle j’avais aimé travailler pour L’île des oubliés de Victoria Hislop, qui s’est vendu à 400 000 exemplaires. Cela me donnait envie. La maison est capable de transformer un joli succès en best absolu. Aujourd’hui, il s’agit de l’emmener vers de nouveaux défis, car c’est maintenant qu’il faut prendre les virages nécessaires, même si nous n’avons pas encore de preuve avérée d’une cannibalisation du poche par le numérique."
Libraires et numérique
Elle fait donc du numérique une de ses priorités. "Nous devons continuer à nous constituer un catalogue numérique en développant des inédits", affirme-t-elle. Tout en continuant à publier sous la marque Livre de poche des textes inédits d’auteurs du catalogue, comme Tatiana de Rosnay, Eric-Emmanuel Schmitt, Pierre Lemaitre ou Robert Goddard, elle crée en janvier 2015 un label à part entière, Préludes, qui remplace la marque Livre de poche éditions. Au programme : 10 titres par an, des premiers romans ou des premières traductions en France, en format semi-poche et à petit prix, entre 13 et 15 euros. Chaque nouveauté contiendra en fin d’ouvrage deux ou trois suggestions de lecture, puisées dans le catalogue du Livre de poche et faisant écho au roman. "Nous créons là nos propres moyens de redynamiser le fonds, qui est un des enjeux vitaux du poche. Et avec une production limitée à 10 titres sur 400 nouveautés annuelles, nous restons sans conteste des éditeurs seconds et voulons avant tout être des partenaires privilégiés pour les éditeurs premiers", fait-elle valoir.
Ces inédits viendront enrichir le catalogue numérique existant sous la marque Ebook du Livre de poche, considérée comme "une plateforme de commercialisation" par Véronique Cardi. "Elleaccueille les inédits du Livre de poche dont on a les droits numériques, les textes de Préludes, ainsi que, à partir de 2015, certains éditeurs tiers qui ne commercialisent pas eux-mêmes leurs titres numériques et avec lesquels on travaille en poche. La politique de prix reste encore à définir mais nous serons en général en dessous du prix du papier."
Autre priorité, accentuer la proximité avec les libraires et les lecteurs. Les synergies avec les nouveautés grand format seront systématisées, avec des chartes graphiques communes, afin de rendre la promotion encore plus efficace. De ses expériences précédentes, Véronique Cardi s’est forgé une conviction : "C’est en allant au-devant des lecteurs en partenariat avec les libraires que l’on peut réussir." Le succès, cet été, de l’opération Le Camion qui livre l’a confortée dans son choix : un camion rouge estampillé Le Livre de poche a fait une tournée des plages, en lien avec les libraires locaux. Avant de repartir l’été prochain, il sillonnera le territoire pour accueillir des séances de dédicaces d’auteurs. "Même si le marché est en retrait, il y a des raisons de se réjouir, estime-t-elle. Mais il dépendra de nous qu’il se maintienne, nous devons faire preuve d’innovations éditoriales et marketing."