La décision rendue le 20 mai dernier par le Conseil constitutionnel desserre quelque peu l’étau de la diffamation qui tenaille notamment les éditeurs de biographies et d’ouvrages liés à l’histoire contemporaine. Pour mémoire, le délit de diffamation est en effet toujours régi par la loi du 29 juillet… 1881 dite sur la liberté de la presse. Ce texte continue de proclamer en son article premier que «  l'imprimerie et la librairie sont libres  ». Mais il consacre ensuite quelques dizaines d'articles à imposer des restrictions à cette même liberté. Située au cœur de ce dispositif, la diffamation y est définie comme «  toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération  ». Pour être qualifié de diffamatoire, le fait allégué doit être précis ; à défaut, il s'agit d'une injure, qui n'en est pas moins également un délit. C'est ainsi que relater l'achat d'un revolver à un trafiquant ou encore développer la thèse d'un assassinat commandité sont indéniablement des faits précis qui portent atteinte à l'honneur ou à la considération de celui à qui on les impute. À la différence de l'injure, qui ne souffre pas d'excuse juridique, le délit de diffamation peut en revanche être combattu par la démonstration de la vérité des faits qui sont allégués. Il suffit donc apparemment de prouver que tel ou tel est bien le commanditaire d'un assassinat. Pour cela, il est nécessaire de garder à disposition tous éléments probants, tels que des lettres, des articles, des enregistrements audiovisuels, etc. Les témoignages sont également admis. Mais la loi de 1881 pose d'importantes limites à cette «  exception de vérité  ». La preuve des faits allégués ne peut en effet être rapportée « lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ». Il n'est donc pas permis de prouver que tel ou tel individu aurait pratiqué la torture pendant la guerre d'Algérie. Plus grave encore, la démonstration de la vérité ne peut être faite pour des faits qui relèvent de la vie privée. Or c’est le propre de la biographie que de toucher à la vie privée. Restait un troisième obstacle, et non des moindres : la preuve ne pouvait être rapportée pour des faits ayant plus de dix ans d’ancienneté. C’est ce verrou concernant les vieilles affaires qui vient d’être anéanti par le Conseil constitutionnel, suivant en cela une jurisprudence rendue en 2007 par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Jusqu'au 20 mai, en théorie, une biographie d’homme politique publiée en 2011 ne devait donc comporter que ses exploits les plus dignes d’une hagiographie, nonobstant les preuves en la possession de l’auteur,…   ou commencer au mieux en 2001. Et le passage en poche du livre l’année suivante devait prendre en compte les mois écoulés pour respecter la sacro-sainte règle de «  rien de déshonorant au-delà de la dernière décennie  ». Il n’en demeure pas moins que la preuve de faits problématiques devra toujours être rapportée dans un délai de dix jours à compter du passage de l’huissier annonçant le procès. Mieux vaut avoir gardé sous la main l’enregistrement de tel JT, des témoignages recueillis, etc.   À défaut, rien ne sert de brandir la nouvelle jurisprudence. L’odeur des dommages-intérêts, voire de l’interdiction du passage litigieux, autrement dit en pratique du livre, redeviendra dominante.
15.10 2013

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