Avez-vous été surpris par la polémique suscitée par l'appel du SLF à la fermeture des librairies ?
Je me pose en observateur : je crois que chacun est dans son rôle. Un syndicat professionnel livre sa position argumentée, échange avec le ministère qui a dressé la liste des commerces « essentiels » ; des commerçants indépendants suivent ou non les directives du SLF, et décident d'assurer un service autorisé de commandes, de retrait et de livraison.
Fallait-il considérer le livre comme un « bien de première nécessité » ?
C'est un faux débat. Les résultats de l'enquête menée par le ministère de la Culture sur les pratiques culturelles indiquent que 48 % des Français n'ont pas lu de livre en 2018 contre 27 % en 1988. La lecture peut aider à traverser ce moment pénible, mais beaucoup de Français possèdent une bibliothèque et ont pu se procurer des livres numériques. La lecture n'était pas interdite !
Maintenir un service minimum en librairie, n'était-ce pas l'occasion de s'éloigner de l'accoutumance aux plateformes que vous constatez dans Éloge du magasin (1) ?
Oui, éventuellement, mais ce sont des commerces indépendants, et c'était à eux de prendre leur décision. Par ailleurs, la librairie n'accuse pas de retard sur les services numériques : les portails existent pour la réservation en boutique ou la commande. Le service numérique en soutien au magasin constitue à mes yeux une « bonne » consommation en ligne.
Comment expliquer la vague de soutien aux librairies, malgré un poids économique en baisse dans les circuits de vente ?
Il s'agit d'un commerce que chacun sait fragile. Il a été le premier à avoir été exposé à l'« amazonisation ». L'enjeu est de transformer cette attitude bienveillante en pratique d'achat exclusive. Chacun doit sortir par le haut d'une contradiction : se satisfaire d'une livraison à domicile... et déplorer la fermeture des magasins.
Y a-t-il de nouvelles pistes à explorer pour fidéliser sa clientèle ?
L'urgence est d'inscrire le livre dans la culture numérique. L'enquête sur les pratiques culturelles des Français identifie deux pôles de consommation : la culture patrimoniale (musée, lecture, théâtre...) et la culture numérique liée à internet. Le livre et les librairies doivent trouver leur place dans ce second univers qui explose alors que le premier décline. La première pratique culturelle des 15-24 ans est le visionnage de vidéos en ligne. S'adresser à eux constitue une priorité absolue.
(1) Éloge du magasin, par Vincent Chabault, Gallimard, 2020.