De la Pyrénéenne Violaine Bérot, on aime la voix poétique et crue, l'imaginaire enraciné dans ces montagnes où elle est née et est revenue s'installer il y a plus de vingt ans, éleveuse de chèvres pendant une douzaine d'années menant désormais une vie consacrée à l'écriture. L'auteure de Des mots jamais dits (2015) et Nue, sous la lune (2017) reprend dans Comme des bêtes une forme narrative semblable à celle de Tombée des nues (2018), qui abordait une affaire de déni de grossesse à travers les récits enlacés de plusieurs protagonistes. Là, il s'agit d'auditions de témoins devant les policiers chargés d'enquêter autour de la découverte par un randonneur d'une petite fille de 6 ans en parfaite santé, seule en compagnie d'un âne et jalousement protégée par un simple d'esprit surnommé l'Ours. Est-il le père ? Qui est la mère ? L'enfant a-t-elle été enlevée ? Comment a-t-elle pu survivre ?
Le garçon d'une trentaine d'années qui concentre les soupçons est un géant mutique qui habite avec sa mère à l'écart de la communauté dans une ancienne grange sans eau ni électricité, perchée sur une pente raide à 1 700 mètres d'altitude. La plupart des gens du coin le prennent pour une brute et le craignent. La peur est réciproque. Chacun a son scénario pour expliquer l'apparition de la fillette sauvage mais tout tourne autour de la grotte aux fées, une cavité nichée dans une paroi rocheuse difficilement accessible, dont la légende dit qu'elle abrite des enfants volés. Le chant des fées, comme un chœur de tragédie antique, s'intercale entre les dépositions et dévoile peu à peu le sens caché du mystère.
Défilent aussi l'institutrice de la classe unique du village où le garçon en butte aux brimades a été brièvement scolarisé vingt ans plus tôt ; les voisins du hameau le plus proche et des chasseurs ; un couple qui vient les week-ends observer la faune ; un coureur de trail et un éleveur par lequel on apprend que celui qu'il appelait « le Grand muet » avait le don de guérir les animaux. « Les bêtes, les humains, le rapport vous le voyez plus trop », reproche-t-il aux enquêteurs qui peinent à croire que leur suspect puisse allier « une puissance terrifiante, une douceur exceptionnelle ».
Violaine Bérot orchestre sans idéalisation l'affrontement des versions, confronte la violence de l'ostracisme et des normes sanitaires d'une société qui enferme ses fous, place les enfants sans mère, fait accoucher les femmes sur le dos. Car l'écrivaine le voit bien, elle, ce lien sans mots entre les bêtes et les humains. Et sait que l'on peut confier les enfants aux bons soins des fées.
Comme des bêtes
Buchet Chastel
Tirage: 3 400 ex.
Prix: 14 € ; 160 p.
ISBN: 9782283034873