Dans les faits, la fusion que beaucoup redoutent est à l’arrêt. A Bruxelles, comme à Paris, libraires et éditeurs indépendants tentent d’enrayer le processus administratif. Les décisions se font attendre, Arnaud Lagardère se prépare à vendre « quelques fleurons », il fait monter les enchères. Car c’était « à la hussarde que Jean-Luc Lagardère a mené l’offensive pour le rachat de Vup, saisissant une opportunité en or et réfléchissant ensuite à ce qu’il en ferait », rappelle notre rédacteur en chef de l’époque, Pierre-Louis Rozynès.
Le grand flou
De leurs côtés, Hervé de La Martinière, Antoine Gallimard et Claude Cherki, dans un entretien à Livres Hebdo (n°507), expliquent pour la première fois leur opposition au rachat. « Nous représentons les intérêts de plusieurs éditeurs indépendants. Au total, une douzaine de maisons d’édition soutiennent notre action », explique Antoine Gallimard. « Entendre dire aujourd’hui par le ministre de la Culture que la solution Lagardère était la seule solution française soutenue par le gouvernement et l’opinion publique, c’est un peu dur ! », lance Hervé de La Martinière. Pour eux, il existe d’autre solution, françaises. « Les pouvoirs publics ont laissé entendre que la solution Lagardère permettait d’éviter le démantèlement et le contrôle du groupe par des investisseurs étrangers. En fait, c’est bien au démantèlement de Vup - ce qui est, à mon avis, une aberration - et à l’arrivée d’investisseurs étrangers qu’on va assister ! C’est une politique de gribouille ! », s’agace Claude Cherki.
Pendant ce temps, à Bruxelles, Lagardère reporte de mois en mois le dépôt du dossier qui doit permettre à la Commission d’enquêter. La « vente éclaire » prévue des maisons du groupe Vivendi paraît bien loin. Pour les modalités comme pour les délais, c’est la grande inconnue. Aucune jurisprudence en la matière n’existe, il s’agit d’une première dans l’histoire de l’édition française. Entre pro et anti fusion, les manœuvres en tous sens reprennent. Jean-Pierre Raffarin, premier ministre, milite pour que le dossier soit rapatrié à Paris. Politique, financiers, éditeurs, tout ce petit monde navigue dans le flou. Y’aura-t-il un bras de fer entre Paris et Bruxelles ? Que fait concrètement la Commission européenne ? Les libraires et les éditeurs ont-ils besoin d’un médiateur ?
De Lisi à Nourry
A Bruxelles, pas vraiment de réponse. La Commission a « des doutes sérieux » sur la fusion. Une nouvelle phase d’enquête plus approfondie est prononcée en juin. L’opération commence à être qualifié « d’incertaine ». « Hachette / Vup : le rachat compromis ? », titre Livres Hebdo n°520 en date du 27 juin 2003. Trois scénarios sont maintenant évoqués : le rachat total, le dépeçage ou encore le retrait de Lagardère. En fin d’été, le climat devient fortement hostile à Lagardère, une « hostilité qui n’est pas idéologique mais statistique », écrit Pierre-Louis Rozynès, qui présage un futur veto à la fusion. « La question que l’on peut désormais se poser est donc la même que l’an dernier à la même époque : qui rachètera Vup ? C’est lassant », résume-t-il.
Entre temps, nouveau coup de théâtre : Jean-Louis Lisimachio est écarté de la tête d’Hachette Livre. Un départ « régulièrement annoncé depuis des mois » et qui « tient à la fois du limogeage et de la démission » écrit-on dans nos colonnes. « Constatant un désaccord stratégique persistant quant à l’évolution des activités livre du groupe Lagardère, Arnaud Lagardère et Jean-Louis Lisimachio sont convenus de se séparer », explique le communiqué officiel. Pour le remplacer : un certain Arnaud Nourry en 2002, « l’inconnu d’Hachette Livre », comme le titre la journaliste Claire Nillus. Le même Arnaud Nourry qui, 18 années plus tard, sera à son tour débarqué de la tête d’Hachette par le même Arnaud Lagardère…
Dans le prochain épisode de cette saga Vivendi-Lagardère : la création d’Editis et la fin du feuilleton.