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Webtoon Academy : la fabrique du futur

Le cours de storyboard animé par l'auteur-producteur  coréen Si-ho Kim. - Photo OLIVIER DION

Webtoon Academy : la fabrique du futur

Implantée depuis septembre à Angoulême, la Webtoon Academy, formation d'environ trois mois, propose à une douzaine d'élèves un enseignement sur-mesure pour apprendre les codes du webtoon. Reportage dans ce qui se révèle être une première en France.

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Par Pauline Gabinari
Créé le 10.12.2024 à 17h00

Ici, ce ne sont pas les prix littéraires qui animent les esprits, encore moins la publication d'inédits de Céline, mais, comme base d'imaginaire commun, Solo leveling et autres séries coréennes. Ici, ce n'est pas de crayons et de papier dont on s'empare mais de stylets et de tablettes numériques. On parle anglais, français, coréen, on est « auteur international » plus qu'« auteur français », on se sent assez en sécurité pour affirmer sa non-binarité et on réfléchit à comment être le plus productif.

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Si-Ho Kim, auteur-producteur coréen anime la masterclass pendant 3 semaines.- Photo OLIVIER DION

Bienvenue dans une nouvelle génération d'écrivains, ou du moins ses prémices : l'une des premières formations françaises dédiées au webtoon : la Webtoon Academy. Située à Angoulême, d'une durée de treize semaines, cette dernière a ouvert ses portes à la rentrée avec l'objectif de trouver et former les auteurs de webtoon de demain. « Ce secteur est un marché qui a vocation à se développer », affirme Ainara Ipas. Directrice générale de la plateforme de webtoons Ono, elle a monté sous l'égide de Média-Participations ce cursus intensif gratuit en partenariat avec le producteur coréen Kenaz et le studio d'animation et de webtoons Ellipse Studio.

De quoi attiser l'esprit créatif des aspirants au métier : après quelques mois de communication et d'interventions dans des écoles d'art (les Gobelins, Émile Cohl...), des festivals (Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, Festival international du film d'animation d'Annecy) et des salons (Japan Expo), son équipe a reçu plus d'une centaine de dossiers pour une douzaine de places. « Mon but en sortant est de pouvoir vivre de mes histoires, de savoir mieux m'organiser et de fournir la même qualité que ce qui peut déjà exister en Corée », explique Ronce, élève de la formation. 

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Si-Ho Kim et son traducteur français, Valentin Comay.- Photo OLIVIER DION

Face aux quelques chanceux, un professeur directement venu de Corée : l'auteur et producteur coréen Si-Ho Kim. Durant toute la matinée, ce ponte du webtoon, qui raconte volontiers les centaines d'heures par semaine consacrées à la pratique, se lance entre mimes des personnages qu'il dessine, croquis live sur une tablette graphique projetée au tableau et explications techniques. Le résultat ? Un cours de storyboard ludique et dynamique.

Avec force d'exemples, il enseigne la fabrication concrète d'une histoire dessinée : de l'endroit où placer une bulle à la manière dont on s'exprime avec les codes graphiques. Ses cours sont complétés par des classes plus spécifiques autour du cadrage, du décor ou encore de Clip Studio Paint, le logiciel utilisé par la majorité des auteurs de webtoon. L'après-midi est consacrée à la construction d'un projet personnel suivi pas-à-pas par Si-Ho Kim. « Cette formation est aussi là pour permettre aux élèves d'aller plus vite, et même d'industrialiser certaines tâches », indique Diane Ranville, productrice chez Ono.

Car, dans le webtoon, il faut produire vite et beaucoup. Certains élèves déjà auteurs sur des plateformes dédiées en ont fait les frais. « Quand j'ai publié ma première série, je travaillais jusqu'à 80 heures par semaine pour pouvoir mettre en ligne un épisode tous les sept jours. Ce que je touchais pour ça équivalait à 5 euros de l'heure ! », se souvient Ronce, dont l'objectif est plus d'efficacité pour ses créations à venir. 

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Le logiciel Clip Studio Paint est l'outil de prédilection pour réaliser les webtoons.- Photo OLIVIER DION

Pause lunch

« Comment on dit "bon appétit" en coréen ? » Une gaufre fourrée dans la bouche - pause dej' oblige - Valentin ne s'arrête pourtant pas. Rapide coup d'œil à Si-Ho Kim, dont la langue est le coréen, et il se lance, « masige deuseyo ! ». Quand il traduit, Valentin Comoy semble infatigable, et pour cause, sa mission est grande : il doit retranscrire tout ce que dit le professeur, qui ne parle pas un mot de français. « Nos élèves doivent acquérir les codes de ceux qui réussissent. Or en Corée les auteurs ont déjà ce savoir-faire propre au webtoon. C'est impensable de ne pas faire appel à eux », explique Ainara Ipas.

Des codes que la CEO espère internationaux : « Aujourd'hui, le marché français ne suffit pas. Pour pouvoir vivre de cette pratique, il faut pouvoir s'adresser tout autant à des Japonais qu'à des Américains », souligne-t-elle. La France n'est d'ailleurs pas le premier stop de Kenaz dans ce qui apparaît comme une graine plantée pour un usage mondialisé du webtoon. Avant Angoulême, la boîte de production coréenne s'est arrêtée à Séoul, Tokyo, en Indonésie et au Vietnam pour ouvrir des Academy. « Mais en France, les étudiants sont quand même beaucoup plus concentrés qu'à Séoul ! », précise en rigolant Si-Ho Kim, dont la prochaine escale est Saint-Pétersbourg. 

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Le bâtiment où est installé la Webtoon Academy.- Photo OLIVIER DION

Le déjeuner passé, chacun retourne à sa tâche. Au fond de la classe, près de la fenêtre, Romina allume son ordinateur. Fan de Romance fantasy, elle a mis en pause ses études d'informatique pour se consacrer à sa passion. « Créatrice de webtoon, c'est mon rêve et je vais me battre pour ! », glisse-t-elle avant de poursuivre : « Je n'ai pas un très bon niveau en dessin et ce que j'aime le plus, c'est le scénario. Mon but, c'est donc de hacker le système pour pouvoir quand même raconter mon histoire ».

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Ainara Ipas, directrice générale de la plateforme de Webtoons ONO- Photo OLIVIER DION

« Le webtoon est collectif. Entre le scénario, le storyboard, l'encrage, le croquis, les couleurs, les décors et les ombres et lumières, il n'est pas rare que sept personnes travaillent ensemble sur une même histoire », complète Diane Ranville, qui compare l'organisation d'un studio de production de webtoons à celle du cinéma d'animation. 

Comme Romina, ils sont nombreux à croire en ce nouveau vecteur d'histoires, dont les chiffres ne cessent de croître. En 2023, une étude commandée par l'ambassade de France en Corée révélait qu'en 2021 l'industrie mondiale du webtoon avait réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard d'euros et envisageait d'ici 2030 de le multiplier par trente, voire quarante.

Média Participations et Kenaz ont d'ailleurs décidé d'investir dans cette poule aux œufs d'or encore hypothétique : à l'issue de la formation, les partenaires prévoient de signer un contrat d'édition avec leurs projets coup de cœur. « Ce serait vraiment génial que mon projet soit choisi », s'enthousiasme Jin-Chan, qui a tout lâché pour venir à Angoulême : « Normalement, je devais commencer un emploi en tant qu'agente d'escale à l'aéroport de Roissy, mais l'avenir est tellement instable ... autant s'amuser ! », lance-t-elle à la volée avant de vite se remettre à son projet : l'histoire d'une jeune étudiante fauchée qui rêve de musique. 

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L'univers des "Webtooners" est très éclectique.- Photo OLIVIER DION

Impressions d'Afrique

Pourquoi se limiter à la France ? Un peu moins de deux ans après son lancement, Ono tourne son regard de l'autre côté de la Méditerranée en proposant sa plateforme aux pays d'Afrique subsaharienne francophone. « Il y a une forte demande de webtoons tant du côté de la consommation que de la production », explique Ainara Ipas, directrice générale d'Ono, qui vise comme pays de départ le Cameroun. Un pari de taille pour Média-Participations, qui a dû repenser intégralement sa plateforme. « Seulement 20 % de la population possède une carte bleue en Afrique subsaharienne francophone. Nous avons donc choisi d'autres moyens de paiement en montant des partenariats avec les opérateurs mobiles. Cela permet aux lecteurs de payer en "Mobile Money", ce qui est assez courant là-bas. Nous avons aussi adapté les prix au niveau de vie de la population », détaille la CEO. Côté contenu, le groupe a également opté pour des contenus sur mesure. Au programme, des webtoons français, coréen mais aussi africains et des coéditions avec des studios locaux, comme le Camerounais Zebra Comics. Affaire à suivre !

Trois valeurs sûres pour découvrir le webtoon 

Plutôt mourir que partager par Estelle Lilla (webtoon Naver)

 Des vieillards réactionnaires qui remontent le temps pour que le monde ne devienne pas plus égalitaire et bienveillant ? Il n'en fallait pas plus pour attiser notre curiosité ! En 54 épisodes, Lilla nous plonge dans son univers plein d'humour et de couleurs pop. Un regard lucide et malicieux sur les blocages de notre époque, doublé d'une plaisante histoire et de personnages très kawaï. 

 

Vertu de Saint Cyr par Maëva Poupard et Yllogique (Ono)

 En 2018, Libération publiait un papier dénonçant le harcèlement moral et le bizutage sexiste ayant lieu au lycée militaire de Saint-Cyr. De quoi donner le la au nouveau webtoon de Maëva Poupard. Première série de la collection lancée par Dargaud et Ono, Vertu de Saint Cyr acte la ligne éditoriale tracée par Média-Participations : des histoires bien ficelées aux ambitions politiques.  

 

Sex, drugs & RER par Natacha Ratto (Webtoon Naver)

Quand Léon déménage pour ses études en banlieue parisienne, c'est la fin du monde... et le début d'une série absolument addictive pour nous ! Entre histoires d'amour, tromperies, amitiés fusionnelles et angoisse face à son avenir professionnel, le quotidien d'une bande de jeunes à la croisée de leur vie d'adulte.

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