Il y a des livres dont on sait dès leurs premières lignes qu'ils vous parleront au plus près. Au plus intime, mais avec l'élégance d'une discrétion qui ne se laisse pas oublier. Ainsi ces phrases, avec lesquelles s'ouvre, comme un paysage qui serait aussi une cosa mentale, le somptueux récit d'Yves Harté, La main sur le cœur : « Un jour de mai, j'ai pris ma voiture et je suis parti à Tolède. Personne ne m'accompagnait. Je voulais rouler seul sur les routes d'Espagne. »
Prix Albert Londres, Harté fut jusqu'à il y a peu l'une des très grandes plumes du journalisme français. S'il s'est de-ci de-là autorisé quelques escapades éditoriales du côté de ses passions pour la corrida (La huitième couleur, Arléa, 2015) ou pour ses Landes natales (Latche : Mitterrand et la maison des secrets, Seuil, 2021), jamais encore il n'avait tout à fait consenti à l'exercice purement littéraire (même si chacun de ses articles comme de ses livres proclamait la prééminence impérieuse du style). Il aura fallu à cela un ami disparu et le mystère d'un gentilhomme, la main sur la poitrine.
Celui-ci vient en tenue d'apparat du fond du XVIe siècle. C'est avec lui, ce caballero à la pâle figure, qu'Yves Harté a rendez-vous à Tolède. Sa triste splendeur l'éblouit, les conjectures sur ses origines le fascinent. Comme la grâce austère de ce tableau, sans doute le plus célèbre, du Greco. Il sait que regarder ainsi un portrait, c'est accepter dans le meilleur des cas d'être regardé par lui. Il sait aussi que ce voyage en Castille, le dernier en date d'une longue série, s'accompagne de voix perdues au fond du jardin de sa mémoire. La plus impérieuse d'entre elles, celle de l'homme qui fut à la fois son mentor en écriture et mieux, son ami. Il s'appelait Pierre Veilletet, romancier précieux, grand lecteur, joli cœur gascon aux mille vies, rêvées bien souvent, et qui n'eut qu'une seule mort dans la solitude d'un appartement bordelais. C'est lui bien sûr que cherche à retrouver et révéler Harté, lui autant que l'aristocrate du Greco, leurs deux destins contrariés. Il baguenaude sur ces lieux d'Espagne si souvent traversés ensemble, cette Espagne noire et austère des plazas de toros et celle plus aimable des cafés madrilènes dans un matin d'été où une bière suffit à se prémunir de la chaleur à venir. Toutes les Espagnes, en somme. Et à la fin, toujours, le chagrin indicible des hommes.
La main sur le coeur
Le Cherche Midi
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 € ; 160 p.
ISBN: 9782749174433