De correspondances en correspondances publiées, il se confirme qu'être l'ami de Marcel Proust n'était pas de tout repos, tout sauf une sinécure, et parfois même un job à temps partiel. Mais le génie, surtout quand il est aussi manifeste que celui de l'auteur d'À la recherche du temps perdu, reconnu enfin à la fin de sa vie (surtout après son prix Goncourt de 1919 pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs), incline à toutes les indulgences, et à la patience. Sans conteste deux des vertus cardinales d'Horace Finaly, en plus de la fidélité en amitié, que révèle leur correspondance aujourd'hui éditée par l'écrivain proustologue Thierry Laget, avec l'appui de Jacques Letertre. Ce dernier, président de la Société des hôtels littéraires (dont le Swann), est le propriétaire de la plupart des lettres ici publiées et des photographies composant le cahier qui redonne vie aux personnages de cette histoire. À l'exception d'un seul, mais central, on le verra.
Horace Finaly (1871-1945) était l'héritier d'une famille juive européenne cosmopolite. Il était né en Hongrie, avant de venir s'installer à Paris. Banquier d'affaires, il devint le tout-puissant et riche directeur général de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Libéral, polyglotte, érudit, bibliophile, il servit de modèle à Jean Giraudoux pour l'Emmanuel Moïse de Bella. En revanche, il n'apparaît pas dans La recherche.
Finaly avait connu les frères Proust, Marcel l'aîné et Robert le cadet, au lycée Condorcet. Ils s'étaient liés, se tutoyaient (du moins avec Marcel), et ont continué de se fréquenter jusque dans les années 1890. Ensuite, la relation s'estompe. Mais il est probable qu'ils se sont écrit. Proust était un épistolier fanatique. Leurs lettres, hélas, sont perdues jusqu'à 1920. À partir de là, on en a retrouvé seize de Marcel à Horace, plus deux envois accompagnant des exemplaires de ses livres. Et deux d'Horace à Marcel. S'y ajoutent huit lettres de Robert Proust à Horace, après la mort de son frère chéri, le 18 novembre 1922.
Outre différents sujets abordés entre les deux amis, dont des conseils en placements financiers sollicités, des dîners impossibles, ou la mort de Marguerite, l'épouse d'Horace, le 2 mai 1921, sur laquelle Proust, qui ne l'a vue qu'une seule fois, déverse des torrents de larmes et d'encre, la grande affaire entre eux, c'est le sort d'Henri Rochat. Un jeune Suisse, barman au Ritz, que Proust avait « levé ». Protestant, hétéro et sans scrupules. L'écrivain l'avait installé chez lui, dès 1918, entretenu, et quasiment séquestré. Il le décrit comme un « gandin », un « Ruy brun », ou encore « mon laquais pour amant ». Un secrétaire inutile et fugueur, un parasite follement dépensier qui le ruine − la supposée pauvreté de Proust à la fin de sa vie est un mythe. Un boulet, mais dont il ne peut se passer, même si, dit-il, rien « d'immoral » dans leur relation. Avec Proust, tout est redoutablement compliqué, emberlificoté, comme ses lettres. Toujours est-il qu'il supplie Finaly de trouver un travail à Henri, aussi loin que possible. Ce sera le Brésil, où le garçon partira en 1921 − non sans cesser de faire des dettes que Proust réglera. Il y mourra en 1923.
L'histoire est passionnante, parce que Rochat a nourri les personnages de Morel, et surtout d'Albertine, la prisonnière de La recherche. On aurait vraiment aimé voir à quoi il ressemblait.
Lettres à Horace Finaly
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 16 € ; 132 p.
ISBN: 9782072989902