Bon pied bon oeil, le regard pétillant, Ahmad Samii Guilani a reçu mardi à son domicile l'ambassadeur de France en Iran, Nicolas Roche, qui l'a élevé au rang de Commandeur dans l'ordre des Palmes académiques, soit la plus haute distinction de cet ordre.
Né le 31 janvier 1921, Ahmad Samii Guilani n'était pas du tout destiné à devenir un intellectuel et traducteur reconnu en Iran. Peu avant sa naissance, sa famille quitte la province de Guilan, dans le nord de l'Iran, pour fuir l'avancée des communistes russes sur le point d'entrer dans sa ville de Rasht.
« La rumeur disait que les Bolcheviks allaient s'en prendre aux femmes, alors notre famille s'est temporairement installée à Téhéran où je suis né », raconte-t-il à l'AFP. Enfant, c'est avec le français qu'il « prend goût » à la littérature grâce à son frère aîné qui maîtrise la langue. « Quand j'avais dix ans, il a proposé de m'apprendre le français pendant les vacances d'été. Durant deux mois, il m'a transmis tout ce qu'il savait », se rappelle-t-il.
Le jeune Ahmad approfondit ses connaissance à l'école primaire à Rasht, où le français est enseigné comme première langue étrangère. Puis il découvre au lycée les romanciers et poètes les plus lus, de Rabelais à Anatole France.
Sans dictionnaire
A cette époque, « la littérature étrangère dominante était la française. C'est grâce à elle que j'ai découvert celle de mon pays que je connaissais mal », se souvient Ahmad Samii Guilani. Durant les vacances d'été, le jeune homme dévore tous les livres sur lesquels il peut mettre la main, comme Les Aventures de Télémaque de Fénelon, les Fables de La Fontaine, L'Avare de Molière ou les oeuvres de Chateaubriand.
« A cette époque, il n'existait pas de dictionnaire français-persan. Il fallait que je devine si tel mot avait un sens positif ou négatif », se souvient-il. Devenu étudiant à Téhéran, il se spécialise en littérature persane et complète des études en français avant de se lancer dans la traduction. Sa première oeuvre traduite, Les Étoiles, un conte d'Alphonse Daudet, est publiée dans le magazine... de la police. « Je pensais que la police n'avait rien à voir avec la littérature, mais le colonel en charge de la revue s'y intéressait et y publiait des oeuvres », dit-il en riant.
« Si vous ne pratiquez pas le langage, il vous oublie »
A partir des années 1950, il multiplie les traductions, sa préférée étant Salammbô, le roman « oriental » de Gustave Flaubert. Au sujet des textes français, il note que « dans la littérature persane, l'être aimé est un être abstrait, alors qu'en français il est décrit en détails, tant au niveau de sa personnalité que de son apparence ».
A l'époque du Chah, avant l'instauration de la République islamique en 1979, les librairies de Téhéran regorgeaient d'ouvrages en français, notamment en format de poche. Un âge d'or depuis longtemps révolu, l'apprentissage du français étant devenu facultatif même s'il reste assez populaire. « Aujourd'hui, les lecteurs anglophones sont beaucoup plus nombreux car l'anglais est la clé qui ouvre toutes les portes », se désole-t-il. Lui-même dit avoir sensiblement perdu l'usage du français, faute d'interlocuteurs. « Le langage est éphémère: si vous ne le pratiquez pas, il vous oublie ».