Enquête

45 % des Français vont en bibliothèque

La médiathèque La Canopée à Paris. - Photo Olivier Dion

45 % des Français vont en bibliothèque

Douze ans après la précédente, en 2005, le ministère de la Culture publie une étude de grande envergure sur les Français et les bibliothèques. Avec une fréquentation en hausse et une image positive, ces établissements ont la cote auprès du public.

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 16.06.2017 à 14h24

Quelle place occupent les bibliothèques publiques dans la vie des Français ? Alors que les associations professionnelles intensifient leurs actions pour inscrire les bibliothèques dans le débat politique, la vaste étude publiée le 16 juin par le ministère de la Culture sur les publics et les usages des bibliothèques municipales apporte des éléments de réponses précieux à cette question. Comme lors de la précédente enquête de cette nature, en 2005, les nombreuses données qualitatives et quantitatives rassemblées permettent de renseigner de manière très concrète l’ensemble des activités des bibliothèques, la sociologie des publics et leurs pratiques.

Présentée au moment où se tient, du 15 au 17 juin à Paris, le 63e congrès de l’Association des bibliothécaires de France, elle est plutôt porteuse de bonnes nouvelles : même si la marge de progression reste importante, les indicateurs sont globalement à la hausse par rapport à 2005. Selon les données recueillies en 2016 par TMO Régions, 45 % des Français de 15 ans et plus, soit près d’un sur deux, se sont rendus dans une bibliothèque, tous types confondus (municipale, universitaire, spécialisée), au cours des douze derniers mois. Contrairement à ce qui est régulièrement avancé, Internet n’a pas rendu les établissements obsolètes. La fréquentation a augmenté, alors même que le taux d’équipement des ménages en accès Internet a littéralement explosé en dix ans, passant de 41 % en 2006 à 83 % en 2015 (source Eurostat).

Plus globalement, l’enquête révèle que 91 % des Français ont eu l’occasion de se rendre en bibliothèque au cours de leur vie, ce qui en fait probablement l’équipement culturel le plus démocratique. Les jeunes s’y rendent le plus massivement. 72 % des 15-24 ans interrogés s’y sont rendus dans l’année écoulée, avec un poids sans doute important de la bibliothèque universitaire. La tranche d’âge la moins représentée est celle des 70 ans et plus. "La fréquentation d’une bibliothèque au cours d’une vie est souvent discontinue, souligne l’enquête. On peut s’y rendre pendant l’enfance, arrêter après 16 ans puis y revenir ensuite avec ses propres enfants, s’en éloigner encore pendant plusieurs années puis y retourner une fois à la retraite."

16 % d’inscrits

Avec 16 500 établissements de lecture publique en France, dont 7 750 bibliothèques et 8 750 points d’accès au livre, 89 % des Français sont desservis par une bibliothèque communale ou intercommunale. Ces bibliothèques, qui font plus spécifiquement l’objet de l’étude, ont été fréquentées par 40 % des citoyens au cours de l’année écoulée, contre 35,1 % seulement en 2005 et 25,7 % en 1997. Les utilisateurs occasionnels (moins d’une visite par mois) constituent la catégorie qui a le plus augmenté au cours des dix dernières années. Ils représentent 16 % des usagers. Les utilisateurs intensifs (au moins une visite par semaine) représentent 9 % des usagers, et les utilisateurs réguliers (une à deux visites par mois) 15 %. En tout, 87 % des Français ont fréquenté une bibliothèque municipale au moins une fois dans leur vie. Ils n’étaient que 72 % en 2005.

Avec 16 % des Français de 15 ans et plus possédant une carte de lecteur en 2016, contre 21 % en 2005, le taux d’inscrits, en revanche, continue de fléchir. En 1997, 69 % des usagers étaient inscrits, ils ne sont plus que 39 % vingt ans plus tard. Ces données confirment la tendance observée depuis plusieurs années de manière empirique par les professionnels : un nombre croissant des usagers fréquentent la bibliothèque sans être inscrits, pour y faire autre chose qu’emprunter des documents, et de manière épisodique, comme l’indique l’augmentation du nombre d’usagers occasionnels.

Un service de proximité

La quasi-totalité des usagers (91 %) met moins de vingt minutes pour aller à la bibliothèque et 60 % d’entre eux le font même en moins de dix minutes, ce qui confirme la dimension de réseau culturel de proximité de ces établissements. La moitié des utilisateurs se rend à la bibliothèque à pied, 38 % y vont en voiture, et 16 % par les transports en commun. En bibliothèque municipale, la tranche d’âge la plus représentée est celle des 35-49 ans (40 %), talonnée de près par les 15-24 ans et les 50-59 ans (les deux à 39 %).

La fréquentation des bibliothèques reste fortement liée au niveau de diplôme et à la catégorie socioprofessionnelle. En 2016, 52 % des cadres ont fréquenté une bibliothèque municipale au cours des douze derniers mois, 44 % des employés et 40 % des ouvriers. La bibliothèque municipale tend cependant à être plus démocratique qu’il y a dix ans puisque la proportion des cadres a baissé (54 % en 2005) tandis que celle des ouvriers a augmenté (25 % en 2005). La composition du public reflète désormais globalement celle de la société française.

Le livre, mais pas seulement

Parmi la liste des treize activités pratiquées en bibliothèque que proposait le questionnaire, l’emprunt de livres continue de se tailler la plus belle part avec 55 % des réponses, suivi de près par la lecture de livres sur place qui totalise 51 %. La troisième activité la plus pratiquée est la lecture de la presse sur place (19 %). L’emprunt de disques de musique, considéré parfois comme totalement dépassé, rassemble quand même 8 % des réponses, soit autant que la visite d’expositions et seulement en deçà d’un à deux points de l’emprunt de DVD (9 %) et du travail sur place (10 %). La diversité des services des bibliothèques est prisée puisque les usagers pratiquent en moyenne 2,5 activités et que 21 % en réalisent 5 et plus. Près de la moitié des usagers n’empruntent pas de livres et 36 % n’empruntent aucun document, venant pour d’autres motifs. Au total, les emprunts ne représentent plus que 40 % des motifs des visites, distançant de deux points seulement les pratiques sur place (38 %). Le travail en bibliothèque représente 15 % des motifs, et le cumul des autres activités 11 %.

Précision intéressante : parmi les répondants considérés comme "non-usagers" car ne s’étant pas rendus en bibliothèque au cours des douze derniers mois, 7 % ont consulté le site Internet, le compte Facebook ou Twitter d’une bibliothèque municipale.

Une image plutôt bonne

Les bibliothèques bénéficient auprès du public d’une image positive. Les résultats montrent cependant les progrès qu’il leur reste à accomplir pour améliorer cette image, en particulier auprès des non-usagers, et pour mieux faire connaître la diversité de leurs services. 76 % des sondés considèrent que la bibliothèque municipale est un lieu utile à tous, un résultat en baisse par rapport à 2005 (79 %), tandis que 5 % la jugent peu utile en 2016, contre 2 % en 2005. Par ailleurs, 27 % pensent que les collections répondent totalement aux attentes des habitants, et 31 % qu’elles y répondent partiellement, tandis que 6 % estiment que les collections ne répondent pas du tout aux attentes des habitants.

La perception du lieu reste assez classique, avec 47 % des répondants qui perçoivent la bibliothèque comme "une grande librairie". 34 % la voient comme un espace de détente et de loisirs, et 23 % comme un lieu de travail ou pour étudier. Pour ceux qui fréquentent les bibliothèques municipales, le taux de satisfaction est élevé : 89 % sont satisfaits de la qualité de l’accueil, 91 % des conditions d’emprunt, 92 % des conditions d’inscription, et 88 % des horaires. Parmi les quelque 60 % de Français de 15 ans et plus qui ne vont jamais en bibliothèque, les raisons les plus fréquemment invoquées sont "je préfère acheter les livres" (33 %), "je ne ressens pas le besoin" (33 %) et "je n’ai pas le temps" (26 %). 9 % évoquent des jours et horaires d’ouverture non adaptés, et 7 % des difficultés d’accès.

"Il faut renouveler la problématique des publics"

 

Olivier Donnat, chargé d’étude au ministère de la Culture, commente les résultats de l’étude sur le rapport des Français aux bibliothèques.

 

Photo DR

Olivier Donnat, chargé d’étude au Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture (DEPS), a réalisé depuis 1973 les éditions successives de l’enquête sur les Pratiques culturelles des Français.

Olivier Donnat - La première chose que je remarque est la relative stabilité de la fréquentation. Dans un contexte de fort développement du numérique, où les usages sur Internet concurrencent les autres pratiques culturelles et de loisir, c’est une surprise. La fréquentation occasionnelle, en hausse dans les bibliothèques, s’observe également dans les autres lieux culturels. Les gens hésitent à prendre un abonnement qui les engage à long terme et veulent plus de souplesse. Cela correspond à une tendance générale lourde qui conduit certains observateurs à parler de société liquide, où tout est plus volatil. Ce qui m’a surpris aussi, c’est qu’il n’y a quasiment pas d’écart entre le nombre d’hommes et le nombre de femmes parmi les usagers. Cela va à l’encontre de toutes les enquêtes réalisées jusqu’à présent sur les pratiques de lecture, qui montrent que les femmes sont plus investies. Peut-être est-ce un signe de progression de la parité ? Un autre élément remarquable est la réduction des écarts entre les catégories socioprofessionnelles. Les cadres, moins présents, ont diversifié leurs pratiques et trouvé des modes d’accès à l’information alternatifs via Internet. Pour les ouvriers, je pense que les actions en direction des demandeurs d’emploi ou des jeunes des quartiers défavorisés ont eu un impact sur la hausse de fréquentation.

Savoir si la fréquentation in situ reste le seul objectif ou si le développement de services en ligne doit devenir une mission des bibliothèques est une question en débat chez les bibliothécaires, mais qui se pose aussi dans les autres lieux culturels. Avant, le public était celui qui se rendait physiquement sur place. Aujourd’hui, beaucoup de personnes regardent des expositions ou des concerts en ligne. Comment prendre en compte ces usagers à distance ? Je pense que ces résultats incitent à renouveler la problématique des publics et à repenser l’offre de services entre ceux sur place et ceux à distance, qui peuvent constituer un moyen d’attirer de nouveaux utilisateurs.

La bibliothèque reste l’équipement culturel de proximité par excellence, dont l’accès est moins inégalitaire que les musées ou les lieux de spectacle vivant. 40 % des Français vont en bibliothèque municipale alors que seuls 20 % se rendent au théâtre. Plus une population est minoritaire, plus elle risque d’être marquée sociologiquement. Ainsi, si le profil de l’ensemble des usagers des bibliothèques est proche de celui de la population française, celui des usagers réguliers est en revanche plus discriminant.

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