Du spectre au corps. Plus encore qu'un récit de transition, La mauvaise habitude est un roman d'apprentissage, le récit d'une douleur et d'une lutte. La narratrice grandit dans les années 1980 à San Blas, un quartier populaire en périphérie de Madrid, bruyant et rongé par l'héroïne. Un quartier où la mort rôde sous les traits d'un toxicomane suicidé, où un regard de travers peut conduire à de sévères bagarres, où la lutte ouvrière importe à tout le monde, mais où chacun ferme les yeux face aux violences conjugales et familiales.
Deux figures de femmes façonnèrent la construction de la narratrice. Il y eut d'abord sa mère, belle et fière de ses deux « p'tits mecs », elle n'envisageait alors pas que l'un d'eux ne se sente pas un « bonhomme ». Et puis il y eut Margarita, dite « La Perruque », la voisine du bout de la rue, la sorcière qui vivait seule et se baladait dehors en robe de chambre, ostensiblement maquillée et marginalisée dans le quartier. Elle est « [sa] première rencontre avec cette projection dans le futur ». La mère et la Perruque ne suscitaient alors que le silence chez la narratrice, incapable de s'opposer ou de s'associer à un modèle convenable, et empêchée de se définir. Perdue entre différentes assertions parfois contradictoires, elle continue de se dérober tout au long de son adolescence : ses premières amours sont des parties de cache-cache ; ses imitations de Margarita, réservées au miroir de sa salle de bains ; et ses tenues féminines, enfilées dans les toilettes du bar gay qu'elle commence à fréquenter à l'aube de l'âge adulte, retournent dans un sac dès qu'elle sort du bistrot. Des années vont ainsi défiler, jusqu'à une conversation décisive avec Eugenia, une amie « adoptée comme mère trans ». Ces rencontres et ces échanges lui offrent un espace inespéré, où il semble bon vivre le fait d'être soi. Mais lorsqu'enfin elle s'assume et se démasque publiquement, un groupe d'hommes la passe à tabac.
« J'ai vu chuter tels des anges en phase terminale une génération entière de garçons. » Militante et écrivaine espagnole transgenre, Alana S. Portero restitue avec une rare sensibilité l'intimité et le parcours de son personnage, de l'enfance contrainte à la fabrique de sa propre légende.
La mauvaise habitude Traduit de l'espagnol par Margot Nguyen Béraud
Flammarion
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 22.50 € ; 250 p.
ISBN: 9782080428431