Dictionnaire

Algérie : la littérature réconciliée

Kateb Yacine, 1956. - Photo Domaine public

Algérie : la littérature réconciliée

Ecrivain et critique littéraire, Salim Jay consacre un monumental et subjectif dictionnaire aux romanciers algériens au sens large, des années 1940 jusqu'à cette rentrée littéraire. _ par Jean-Claude Perrier

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 26.10.2018 à 12h46

C'est un projet que Salim Jay porte en lui depuis longtemps. En quelque sorte le pendant de son Dictionnaire des écrivains marocains, paru en France chez Paris Méditerranée et au Maroc chez Eddif, en 2005. Un nouveau dictionnaire, donc, mais seulement des « romanciers » algériens. S'il avait dû y ajouter poètes et essayistes, la matière aurait été trop vaste. L'ouvrage, édité par Serge Safran après être paru au Maroc en février à La Croisée des chemins, fait déjà plus de 500 pages et rassemble près de 200 auteurs auxquels une entrée est consacrée, à quoi s'ajoutent ceux qui sont simplement cités. Le plus ancien est Aly El Hammamy (1902-1949), auteur d'un unique roman, Idris, que Jay considère comme « étonnant ». Les plus récents ont vu leur notice réactualisée pour cette rentrée littéraire, comme Nina Bouraoui. Pas Yasmina Khadra, en revanche, qui est une des têtes de Turc de notre critique (voir entretien p. 26).

Kamel Daoud, « encore un peu jeune ».- Photo RENAUD MONFOURNY

La langue, point capital

Salim Jay, « métis » lui-même, né à Paris d'un père marocain, poète, et d'une mère française d'origine roumaine dont une partie de la famille a été assassinée par les nazis, a voulu que son livre prenne en compte toute la diversité de ceux qu'il considère comme les romanciers algériens. Origines, française ou autochtone ; lieux de résidence, au pays ou dans la diaspora ; confessions, chrétiens, musulmans ou juifs ; et leur langue, point capital, au cœur de toutes les réflexions et de toutes les polémiques, ici et là-bas.

Samira Sedira- Photo SABRINA MARIEZ/LE ROUERGUE

Le Dictionnaire rassemble auteurs francophones, arabophones, quelques berbérophones, et même deux italianophones : Amara Lakhous et Tahar Lamri, qui vivent en Italie. Selon les auteurs, l'ampleur de leur œuvre, les entrées peuvent être brèves - mais jamais simplement factuelles : ce sont toujours les livres qui en constituent la matière ), ou plus développées. Certains articles sont de véritables études critiques, que ne renieraient pas des universitaires. Mais Salim Jay s'en distingue par son côté « engagé littérairement ». « Mon dictionnaire essaie de parler franc, dit-il. Je pense ce que j'écris, et j'ai vraiment lu tous les livres dont je parle. »

Mohammed Dib dans les années 1980. « Un des plus grands écrivains de langue française » pour Salim Jay.- Photo DR

On ne s'étonnera donc pas qu'il considère comme romanciers algériens quelques fils de « colons » : Albert Camus, par exemple, ou Jean-Noël Pancrazi. « Parce que, nés en Algérie et y ayant passé leur jeunesse, ils ont gardé, dans leur œuvre, un lien fort avec le pays. L'attitude de Camus au moment de la guerre, d'ailleurs, est toujours un sujet sensible en Algérie. ». A ce propos, Salim Jay, produit lui-même de plusieurs cultures, croit fermement au « pouvoir réconciliateur de la littérature ». « Les écrivains algériens d'aujourd'hui portent sur la France un regard réconcilié, explique-t-il, rien à voir avec l'attitude des politiques toujours au pouvoir depuis 1962. Le peuple, non plus, ne les suit plus ».

Vaches sacrées et auteurs moins célèbres

Son engagement, à lui, est au service de ce qu'il considère comme la qualité littéraire. Il n'hésite donc pas à déboulonner quelques « vaches sacrées », comme Yasmina Khadra, on l'a vu, ou Boualem Sansal : tout en louant son courage personnel, il n'a pas apprécié son dernier roman, Le train d'Erlingen, et signale qu'« un certain nombre de ses prises de position politiques ne "passent" pas auprès des Algériens ». Cette réserve est également observée dans d'autres pays arabes, au Liban par exemple. Quant à Kamel Daoud, Salim Jay le considère comme « un excellent chroniqueur » et « un bon nouvelliste, ce qui est moins connu en France », mais encore « un peu "jeune" en tant que romancier ».

A ces stars encensées, il préfère des auteurs moins célèbres : Samira Sedira, par exemple, que publie le Rouergue, ou Nora Hamdi, auteur Grasset. Et puis il y a les incontournables, Rabah Belamri (à la mémoire de qui le livre est dédié), Kateb Yacine, qui considérait « le poète comme un boxeur », ou encore Mohammed Dib, « un des plus grands écrivains de langue française ». Sur ce point, aucune polémique à prévoir. Sur le reste, on attend les réactions de la presse française, et de certains romanciers algériens, des deux côtés de la Méditerranée.

\r\n\u003Ch3 melodystyle=\u0022question\u0022\u003EN\u0027est-ce pas bizarre que l\u0027on trouve dans votre livre Albert Camus ou Jean-No\u00ebl Pancrazi ?\u003C\/h3\u003E\r\n\u003Cp melodystyle=\u0022texte\u0022\u003ES. J. : C\u0027\u00e9tait un peu provocateur de ma part. Mais aucun Alg\u00e9rien n\u0027a protest\u00e9. Je voulais saluer des \u00e9crivains n\u00e9s en Alg\u00e9rie, et qui ont gard\u00e9 un lien avec le pays de leur enfance.\u003C\/p\u003E\r\n\u003Ch3 melodystyle=\u0022question\u0022\u003EEn revanche, on n\u0027y trouve ni Louis Gardel, ni Alain Vircondelet...\u003C\/h3\u003E\r\n\u003Cp melodystyle=\u0022texte\u0022\u003ES. J. : Je ne voulais pas faire un convoi de pieds-noirs ! Il y a au moins 100 auteurs qui vont regretter de ne pas \u00eatre cit\u00e9s.\u003C\/p\u003E\r\n\u003Ch3 melodystyle=\u0022question\u0022\u003EIl y a aussi ceux, tr\u00e8s connus ici, que vous \u00e9trillez plus ou moins : Yasmina Khadra, voire Boualem Sansal, ou Kamel Daoud.\u003C\/h3\u003E\r\n\u003Cp melodystyle=\u0022texte\u0022\u003ES. J. : J\u0027ai voulu faire un dictionnaire litt\u00e9rairement \u00ab\u00a0engag\u00e9\u00a0\u00bb, contre quelques fausses valeurs. Sur Khadra, je suis impitoyable, sur Sansal et Daoud, r\u00e9serv\u00e9.\u003C\/p\u003E"]}">

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