Entre polémiques, faillites en cascade dans les librairies de chaîne et succès inattendu de la liseuse Tolino, outre-Rhin comme ailleurs, c’est Amazon qui a imposé les grands thèmes de 2014 dans le monde du livre. Sur fond de grèves à répétition et de reportages télévisés accablants sur les conditions de travail dans les sites de production du géant américain du commerce en ligne, le bras de fer mené par le groupe de Jeff Bezos contre Hachette a soulevé une vague d’indignation au sein d’un monde culturel déjà inquiet des dérives des titans de la Silicon Valley. En témoigne la lettre ouverte sur ce thème, signée en août par une centaine d’écrivains. Pour Alexander Skipis, directeur général du Börsenverein, la Fédération interprofessionnelle allemande du livre, "le débat qui a entouré les pratiques d’Amazon, et notamment sa prétention à une situation de monopole dans la librairie, constitue un développement décisif. Les méthodes employées pour faire pression sur les éditeurs sont à l’origine d’une plainte pour infraction aux règles antitrust que nous avons déposée auprès du Bundeskartellamt" (l’autorité allemande de la concurrence, NDLR).
Côté chiffres, "le marché allemand du livre s’est développé de manière très solide en 2014, assure Alexander Skipis. Début décembre, le chiffre d’affaires se situait à 2,4 % au-dessous du niveau de l’année précédente. Mais avec une bonne période de Noël, l’année devrait se terminer à l’équilibre." Pourtant, le contexte pour le moins mouvementé en librairie, illustré par le cas de la chaîne Weltbild qui a déclaré son insolvabilité en janvier 2014, ne laissait pas présager une telle issue. En dépit de l’espoir d’un "Weltbild 2.0", les tentatives de sauvetage se sont jusqu’ici soldées par la suppression de 650 emplois dans la maison mère d’Augsbourg et de 250 chez Weltbild Plus, tandis que 53 filiales (sur 220 magasins) ont déjà fermé leurs portes. La faillite de la chaîne bavaroise marque la fin d’une époque, celle des poids lourds dominant le paysage. Thalia, dont le propriétaire, le groupe Douglas, souhaitait se séparer, a de son côté vu sa mise en vente programmée rester lettre morte, faute d’acquéreurs.
Articuler offline et online
"Le marché est en mouvement, résume Alexander Skipis. La réduction des surfaces de vente s’explique par deux facteurs. Au début des années 2000, les grandes chaînes ont mené une politique d’expansion ; aujourd’hui, le marché se consolide, les surfaces de vente se réduisent et des filiales ferment. Ensuite, la hausse des loyers dans les centres-villes représente un véritable problème. Les bénéfices en librairie sont rarement élevés, la compétition pour jouir d’un emplacement avantageux avec un loyer abordable est souvent compliquée voire ruineuse pour les librairies." Néanmoins, ces librairies indépendantes que l’on disait asphyxiées par la concurrence en ligne font plus que résister. "Une des tendances de 2013 se confirme, relève le patron du Börsenverein. La librairie physique s’en sort mieux que la vente en ligne. La librairie se repositionne face au commerce en ligne et de plus en plus de points de vente parviennent avec succès à articuler online et offline."
Ultime paradoxe de cette année 2014 qui s’ingénie à déjouer les prévisions, le succès du Tolino, la liseuse lancée en partenariat par Deutsche Telekom, Weltbild, Hugendubel et Thalia, qui, au troisième trimestre 2014, est parvenue à coiffer au poteau le Kindle avec 45 % des ventes de livres numériques contre 39 % pour le système d’Amazon. Pour Alexander Skipis, "le succès de cette liseuse montre que la branche peut apporter sur le marché des produits convaincants quand elle travaille de concert avec le même objectif".