Dans notre histoire littéraire, André Gide (1869-1951) demeurera comme le corefondateur de la NRF, en 1909, et l'éminence grise, jusqu'à sa mort, des Éditions Gallimard, qu'il a également cofondées, avec Gaston Gallimard et quelques amis. Toute son œuvre y est aujourd'hui rassemblée, à quelques bricoles près. Ce qui n'était pas le cas de son vivant.
Car si Gide a largement publié ses textes « à la maison », aux Éditions de la NRF puis chez Gallimard, cet amateur d'éditions originales, de plaquettes, de tirages minuscules et confidentiels, de beaux et grands papiers, a également diversifié sa production chez un grand nombre d'éditeurs, comme au Mercure de France, ou encore, à partir de 1945, chez le suisse Ides et Calendes, sis à Neuchâtel, maison dont Richard Heyd, devenu son ami dans les années 1930, était le directeur littéraire. Parce que les conditions d'édition étaient meilleures en Suisse que dans la France occupée puis exsangue après la guerre, et peut-être aussi afin de marquer son indépendance en tant qu'auteur.
C'est Heyd qui, par admiration et ferveur, va solliciter de Gide un certain nombre de textes, les publier, de 1945 à 1951, dans de belles éditions, à un rythme soutenu, dans des conditions souvent acrobatiques, et à perte. Et déclencher, juste après la mort de l'écrivain, en 1951, une polémique, en donnant à l'inédit Et nunc manet in te - écrit intime sur le mariage de Gide et ses relations avec son épouse Madeleine (décédée en 1938) - une large diffusion. Était-ce là la volonté de l'auteur, ou le désir de l'éditeur de se refaire ? Le compte de Gide chez Ides et Calendes était largement déficitaire, y compris les ventes des huit volumes de son Théâtre complet, la seule édition à ce jour de cette part importante de son travail. Toujours est-il qu'il y eut polémique publique et que, par voie de presse, le « Comité Gide », chargé par lui de veiller après sa mort sur son œuvre aux côtés de sa fille Catherine, protesta contre cette entreprise mercantile et la divulgation trop large d'un texte jugé scandaleux. Les très prudents Roger Martin du Gard et Jean Schlumberger furent les plus virulents contre Richard Heyd qui, proche de la famille, ne s'en remit jamais vraiment.
Cet épisode de notre histoire littéraire est retracé à travers cette correspondance entre Gide et Heyd, qui court de 1930 à 1950, mais il est aussi augmenté de documents inédits (par exemple l'état des tirages, des ventes et des invendus des ouvrages de Gide, établi en 1952) et mis en scène, raconté, commenté par les universitaires gidiens Pierre Masson et Peter Schnyder, qui ont réalisé un travail de dentellières. C'est passionnant et cela nous rappelle que, de son vivant, Gide ne fut jamais un best-seller. Il le savait, l'a dit maintes fois, et s'en accommodait. Ses éditeurs, apparemment, un peu moins.
André Gide et son éditeur suisse. Correspondance avec Richard Heyd (1930-1950)
Gallimard
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 22 € ; 288 p.
ISBN: 9782073001566