Le sang d'un poète. Si Jean Desbordes, écrivain en devenir et résistant, n'était pas mort sous la torture de la Gestapo, à Paris, le 6 juillet 1944, à 38 ans, sans avoir dénoncé les membres de son réseau F2 (qui avait fourni aux Alliés des renseignements précieux pour le débarquement en Normandie), sa love affair avec Jean Cocteau ne serait peut-être restée que comme une bluette sentimentale. Certes excessive, mélodramatique, faite de passions, de jalousie, de rupture, d'opium et de littérature, sur fond de ce fascinant milieu artistique de l'entre-deux-guerres, « cet ignoble milieu des lettres », comme écrivit Cocteau, qui s'y complut quand même, y compris pendant la guerre et l'Occupation. Ce qui lui valut pas mal de reproches et quelques ennuis à la Libération. Mais l'homme était habile, complexe, pouvait se prévaloir de relations dans les deux camps, et d'avoir essayé de sauver ses amis arrêtés par les Allemands : Max Jacob et Jean Desbordes, justement. En vain.
Lorsqu'il fait sa connaissance, en 1926 (après quelques lettres admiratives échangées dès l'été 1925), Desbordes est un jeune provincial exalté, et Cocteau, à 36 ans, déjà un maître reconnu. Inconsolable de Raymond Radiguet, l'un de ses grands amours, mort en 1923, il trouve en « Jeanjean » un nouvel amour, et un jeune écrivain à cornaquer. Cela donnera J'adore, paru en 1928 chez Grasset, grâce à Cocteau et préfacé par lui. Les deux amants s'installent ensemble (plus ou moins clandestinement), fréquentent le Tout-Paris gay et hétéro, l'aristocratie intellectuelle, voyagent et, hélas, se consument à l'opium. « Je ferai ta gloire et ton bonheur », écrit Cocteau, qui dessine son amant nu, endormi ou non.
En 1930, Jeanjean figure même dans son film Le sang d'un poète. Mais l'idylle se fissure. Il ose partir en Italie avec deux femmes (lesbiennes !), sans le dire à son Jean, lequel tombe fou amoureux de Natalie Paley, princesse Romanov. Enfin, en 1933, c'est la rupture. Les lettres s'arrêtent. Jeanjean s'apprête à se marier, fonder une famille. Il y aura encore deux lettres de lui, apaisées, en 1938, Cocteau l'aidant à faire monter sa pièce L'âge ingrat à la Comédie-Française. Leur mince correspondance conservée est un document émouvant, de première main, qui se suffit à elle-même. Et donne envie de relire J'adore, repris en 2009 dans « Les Cahiers rouges ».
Je t'aime jusqu'à la mort : correspondance avec Jean Desbordes (1925-1938)
Albin Michel
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 288 p.
ISBN: 9782226487858