Avant-critique Correspondance

Viva Vilar ! Il se rêvait écrivain. Alors il avait envoyé un mot à Jean Paulhan. Les premières lettres relatent cet échange avec le sphinx de Gallimard. Il y plane une douce amertume comme il peut y en avoir entre un éditeur et un auteur dont il n'a pas aimé le texte et qui, chose rare, le lui dit sans ambages. Paulhan a vu que le jeune homme était plus fait pour les planches que pour les librairies. D'ailleurs, une véritable amitié va prendre corps à mesure que Jean Vilar (1912-1971) s'impose comme le respecté « monsieur théâtre » de son temps, « un acteur et témoin privilégié de la vie culturelle française de la seconde moitié du XXe siècle », comme le souligne Violaine Vielmas dans son avant-propos.

Ces deux cent soixante lettres de et à Jean Vilar, en grande partie inédites et réunies pour la première fois, nous immergent dans cette société du spectacle en train de changer. La chronologie met en évidence l'évolution et peut-être même surtout les modulations d'un parcours théâtral de haute tenue. Vilar est l'héritier de l'esprit de Charles Dullin. Il a fait sienne l'extrême rigueur du Théâtre de l'Atelier à qui il a donné une énergie nouvelle.

Marqué par la lecture de La condition humaine qu'il veut adapter sur scène, il n'aura de cesse d'être à la hauteur de son admiration. Avec Malraux à la tête d'un ministère pas comme les autres, il partage l'ambition d'une culture pour tous qui va chercher, qui accompagne, qui embarque les spectateurs. Le monde, la politique, la culture elle-même sont des théâtres avec leurs mises en scènes, leurs rôles de compositions et leurs mensonges, mais rien ne vaut le vrai théâtre. Il s'exprime ici dans toute sa quintessence.

Vilar, c'est aussi le patron débordé qui met en place le festival d'Avignon, l'artiste qui discute avec les comédiens et les auteurs, et le réformateur qui appuie Malraux. Lorsqu'il installe en pleine guerre froide place du Trocadéro à Paris en 1951 le Théâtre national populaire, le fameux TNP surnommé le « sous-marin », il sait qu'il va lui falloir batailler ferme.

Homme de troupe, acteur lui-même, auteur quelquefois, Vilar génère autour de lui une énergie peu commune. Au-delà de la biographie qu'elle dessine, cette correspondance trace à gros traits le fusain d'une époque et nous immerge dans le quotidien du metteur en scène : la lettre touchante d'une jeune spectatrice qui rêve de devenir comédienne, celle de Georges Pompidou qui s'étonne en 1956 de n'être plus invite aux premières de Chaillot, Alain Cuny qui lui donne du « cher révérend Père » ou Vilar qui répond vertement à un sénateur qui s'en prend aux choix son cher TNP.

Et puis il y a les amitiés, nombreuses. Maria Casarès, celle sur qui il peut toujours compter, et l'indomptable Gérard Philipe à qui il souhaite paternellement avant le tournage de Fanfan la Tulipe : « Que Christian-Jaque te conserve la grâce et la force, fiston » La dernière missive, en 1971, est pour Malraux qu'il retrouve éloigné du pouvoir politique mais pas de cette condition humaine qui l'a tant taraudé.

Jean Vilar

Actes Sud
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 27 € ; 448 p.
ISBN: 9782330180195

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