Son intervention à l'atelier "L’empreinte environnementale de la chaîne du livre" lors des Rencontres nationales de la librairie a fait l’unanimité le 3 juillet au centre de congrès Jean Monnier d’Angers. Applaudi par ses pairs, Andrea Lemaire, gérant de la librairie Myriagone n’a pas mâché ses mots en faveur d’une prise de conscience environnementale de la profession. “Ne nous ménageons pas, en tant que libraire, nous devons prendre notre part de responsabilité et proposer des solutions concrètes", a lancé du fond de la salle le professionnel de 36 ans.
Des responsabilités appliquées depuis six ans dans sa librairie-café angevine. A commencer par le nombre de réassort effectué par semaine qu’il limite à deux. Un moyen d'éviter des émissions carbones importantes, le transport étant l'un des facteurs de pollution le plus important dans la profession. Pour recevoir le nombre, à peu près exact, de livres qu’il écoule et ne pas être en flux tendu : “il suffit d’évaluer le potentiel de vente d’un livre et de bien connaître sa capacité de vendeur”, explique l’ancien médiateur culturel. Si un ouvrage, par exemple, s'adresse à un public de niche et qu’il est peu accessible au grand public, alors il en commande cinq.
Faire de la pédagogie auprès des clients
Le rythme de livraison est décidé en accord avec Prisme, la plateforme qui regroupe les envois des éditeurs et distributeurs vers les librairies ainsi que les retours. Si un client passe le voir pour un livre qu’il n’a pas en stock, il devra patienter une semaine. “Très souvent, les clients sont compréhensifs", commente le libraire qui arbore des bras tatoués sous un sombre tee-shirt au motif graphique.
Alors qu’il expose sa démarche aux RNL, plusieurs le mettent en garde : “les clients vont voir ailleurs, chez quelqu’un qui peut livrer en 24h comme Amazon”. Ce n’est pas un problème, réplique Andrea Lemaire : “il faut privilégier la pédagogie et expliquer aux clients l’impact sur l’environnement des multiples déplacements des camions de transports, s’ils ne comprennent pas malheureusement on n'y peut rien, et on ne doit absolument pas négocier avec nos convictions profondes.”
Sortir de la "monoculture"
Le libraire regrette l’attitude prudente de la chaîne du livre sur le sujet. Celui qui s’est formé au métier dans une librairie spécialisée en bande dessinée à Bruxelles veut du changement. Un état d’esprit qui se retrouve dans ces rayons. Sur les étagères de sa librairie, pas de dernier prix Goncourt ou encore de têtes affiche tendance. “J’ai des manques dans mes rayons, que d'autres appellent lacunes, mais pour moi la lacune n’est pas un défaut, ni un gros mot, au contraire l’exhaustivité représente une monoculture de laquelle il faut absolument sortir.” Pour lui, il s’agit, tout comme l'écologie, d’aller vers le différent.
Ce passionné du romancier argentin Haroldo Conti, de l’anthropologue Eduardo Viveiros de Castro ou encore de Maryse Condé ne travaille pas l'office. Pour compenser, il réalise un travail de veille. Les relations qu’il entretient avec les éditeurs et les distributeurs lui permettent de suivre de près les nouveautés et d’alimenter ces rayons : littérature, essai, poésie, bande dessinée, beaux arts et jeunesse.
Sa sélection pointilleuse se fait également par rapport au groupe de fournisseurs. Il essaie de travailler beaucoup avec les maisons indépendantes. “Certains fournisseurs, comme Hachette, sont difficiles à contourner vu l’offre dont il dispose sur le marché”, reconnaît toutefois le libraire qui réalise un chiffre d'affaires de 150 000 euros par an. Pour l’instant, il se réjouit de l'intérêt progressif du secteur à l’environnement, comme en témoignent les différentes tables rondes sur le sujet aux RNL.