Sa fille de 10 ans le réveille, elle veut lui montrer ce qu’elle a trouvé punaisé sur la porte d’entrée. Encore engourdi par le sommeil, l’homme déchiffre le bout de papier, surtout il ne voudrait pas qu’elle se blesse avec la punaise. "Guerre et paix : contrepèterie douteuse", lit-il. Certes, il est père et gay. Mais qu’y a-t-il de si douteux là-dedans ? Christophe Honoré fait son retour à l’écriture romanesque avec Ton père, une réflexion sur la paternité et l’homosexualité sous forme d’autofiction, et de mystère aussi. Qui est l’auteur de ce message aux accents homophobes ? Un voisin frustré et pervers ? Un militant de La Manif pour tous, chauffé à blanc, prêt à dénoncer toutes les situations "contre nature" ?
Revenant sur ces deux mots "père" et "gay", l’écrivain et cinéaste, de bientôt 50 ans, se demande en quoi ils devraient être contradictoires. Doute-t-on qu’un homosexuel puisse élever correctement un enfant ? (On connaît les préjugés tenaces sur les homos et leur supposée pédophilie latente.) Ou peut-être est-ce le milieu gay qui serait en droit de questionner l’homosexualité du narrateur, lequel a trahi "la cause" en décidant d’être père ? Est-ce son "ex" dépité, "le punaiseur" anonyme ? A vrai dire, l’auteur de L’infamille a lui-même fondé une manière de famille. Il a eu son enfant avec une amie, une femme hétérosexuelle, et non pas lesbienne ; ils en ont tous deux la garde partagée, passent des vacances ensemble, veillent à son éducation. Pis, le père, souhaitant transmettre sa cinéphilie à sa fille, a, "l’air de rien", omis de la liste Fassbinder, Pasolini, Almodóvar… tous ces cinéastes homosexuels qui avaient tant compté pour lui. Il faut dire que Christophe Honoré a été parfois qualifié de réalisateur "queer", en marge du gay mainstream.
Bientôt, c’est un livre de Gide souillé par une crotte qu’il retrouve sur son palier. L’interrogation laisse place à une sorte de fébrilité. L’auteur se plonge en dedans de lui-même. Il revoit sa jeunesse bretonne, repense à cet amour filial manqué parce que, aux yeux du père, il aura été le fils homosexuel, honteux. Il a 16 ans à la mort de ce dernier. Viennent les années de lycée, où il enquille les histoires. Filles, garçons, le sexe n’a pas de sexe, et le jeune Christophe plaît.
Christophe Honoré tisse un récit poignant où s’enchevêtrent souvenirs anciens et doutes actuels - il y a cette lettre à sa fille, magnifique, écrite lors d’un séjour aux Etats-Unis. Emaillé de photos, l’ouvrage a des airs de journal, un livre de l’intranquillité dont les pages tiennent par le fil rouge de l’énigme d’un double désir : désir des garçons et désir d’enfant. Mystérieux et parfaitement assumé. Sean J. Rose