Juridique

Bail commercial et processus d’éviction, le cas d’une librairie parisienne

La librairie Lardanchet - Photo DR

Bail commercial et processus d’éviction, le cas d’une librairie parisienne

Ouverte en 1947, la librairie Lardanchet est située place Beauvau, en face de l'Élysée et près de l'hôtel Bristol, parmi les galeries d'art et les antiquaires du Faubourg Saint-Honoré. Elle est devenue l'un des lieux parisiens appréciés des amateurs d'art et de livres rares et précieux. Mais comme tous les commerces, elle connaît les affres du renouvellement de son bail commercial.

J’achète l’article 1.5 €

Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 19.02.2025 à 09h30

Le 7 janvier dernier, le juge des référés a ordonné une expertise pour déterminer à la fois le montant de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation (Tribunal judiciaire, Paris, 7 Janvier 2025 – n° 24/57661) de la librairie Lardanchet, place Beauvau dans le VIIIe arrondissement de Paris. Ce litige trouve son origine dans la demande de renouvellement du bail par la locataire et le refus de ce renouvellement par la bailleresse, qui a proposé en contrepartie le paiement d’une indemnité d’éviction.

Un refus de renouvellement du bail commercial

Le bail commercial actuel avait été consenti en 2009 pour une activité de librairie. Il avait ensuite été renouvelé en 2014 pour une nouvelle durée de neuf ans, après que la bailleresse de l’époque avait exercé son droit de repentir au cours d’une procédure en fixation des indemnités d’éviction et d’occupation. En 2024, la locataire a sollicité un nouveau renouvellement du bail, mais la bailleresse, la société GF PIERRE, ayant exercé son droit d’option, a refusé ce renouvellement en proposant une indemnité d’éviction.

En effet, conformément aux dispositions de l’article L. 145-14 du Code de commerce, le refus de renouvellement ouvre droit pour le locataire au paiement d’une indemnité d’éviction, celle-ci ayant pour objet d’indemniser la perte du fonds de commerce si l’éviction entraîne la disparition de l’activité, ou de couvrir les frais liés à un éventuel transfert d’activité. Par ailleurs, selon l’article L. 145-28 du même code, le locataire est en droit de se maintenir dans les lieux tant que cette indemnité n’a pas été payée, mais ce maintien dans les locaux donne lieu au paiement d’une indemnité d’occupation en faveur du bailleur.

Quels sont les motifs graves et légitimes ?

Le bailleur peut refuser son renouvellement sans indemnité d’éviction s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire. Cette notion, non définie par la loi, est appréciée par les juges au cas par cas. La charge de la preuve repose sur le bailleur, qui doit établir la gravité et la persistance du manquement.

L’inexécution d’une obligation contractuelle constitue un motif fréquent. Un changement d’activité sans autorisation, des retards récurrents de paiement du loyer, une sous-location ou une cession irrégulière peuvent entraîner un refus d’indemnité. La réalisation de travaux non autorisés ou le défaut d’entretien du local, surtout s’ils affectent sa structure, sont également retenus. Toutefois, si le bailleur tolère ces infractions pendant une longue période, il risque de ne plus pouvoir les invoquer.

La cessation d’exploitation du fonds de commerce sans raison légitime peut aussi être un motif grave. Si le local reste inoccupé sans justification valable (santé, force majeure), le bailleur peut s’opposer au renouvellement. Toutefois, si l’arrêt d’activité résulte du comportement fautif du bailleur, ce dernier ne peut s’en prévaloir.

De mêmes, les infractions extracontractuelles sont également prises en compte. La jurisprudence retient la prostitution, le proxénétisme, le trafic de stupéfiants ou encore des violences envers le bailleur comme motifs valables de refus d’indemnité. À l’inverse, certaines infractions mineures ne sont pas toujours considérées comme suffisantes.

L’appréciation des juges étant souveraine, le bailleur doit fournir des preuves solides et invoquer les motifs dès la mise en demeure. En l’absence de justification avérée ou si le bailleur a toléré certains manquements, l’indemnité d’éviction reste due.

Une expertise à défaut d’accord,

Face à l’absence d’accord entre les parties sur l’évaluation des indemnités en question, la Librairie Lardanchet avait donc saisi le juge des référés afin qu’un expert soit désigné pour procéder à cette évaluation. Le tribunal a estimé que la demande d’expertise était fondée sur un motif légitime, au sens de l’article 145 du Code de procédure civile. Cet article permet d’ordonner une mesure d’instruction préalable lorsqu’il existe un besoin de conserver ou d’établir la preuve de faits susceptibles d’influencer l’issue d’un litige futur. Dans la présente affaire, l’expertise permettra de fixer le montant de l’indemnité d’éviction due au locataire et celui de l’indemnité d’occupation due au bailleur, en prenant en compte la valeur du fonds de commerce, les conditions du marché et les conséquences économiques de l’éviction.

L’expert désigné par le tribunal aura pour mission de procéder à une évaluation des locaux en tenant compte de leur état, de leur situation et des activités exercées par le preneur. Il devra examiner si l’éviction entraîne la perte du fonds de commerce ou si un transfert est envisageable sans perte significative de clientèle. Il devra également estimer l’indemnité d’occupation due par le locataire pour son maintien dans les lieux.

Maintien dans les lieux et paiement d’une indemnité d’occupation

Cette décision n’accorde pas encore d’indemnité d’éviction ou d’occupation mais vise à permettre une expertise préalable afin d’établir le montant exact de ces indemnités. Tant que l’indemnité d’éviction n’est pas réglée, la librairie Lardanchet demeure en droit de se maintenir dans les lieux, bien qu’elle soit redevable d’une indemnité d’occupation à l’égard du bailleur. Mais une fois le versement de l'indemnité d'éviction effectué, la librairie Lardanchet ne disposera plus que d'un délai de trois mois pour quitter les lieux. Si elle ne respectait pas le délai imparti, son retard serait sanctionné par une pénalité légale de 1 % par jour, un retard de cent jours le privant de toute indemnité.

L’issue de ce litige dépendra donc du rapport d’expertise et d’une éventuelle contestation des montants qui y seront établis, qui pourra faire l’objet d’une plus ou longue procédure judiciaire permettant à la librairie Lardanchet de continuer à satisfaire les amateurs de livres d’art et de livres anciens. Comme ce fut le cas pour certains présidents de la République.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

Les dernières
actualités