Il y a parfois des moments où les époques finissent. C'est la mort qui souvent y appose leur point final. Le flower power américain s'est achevé avec le massacre de Sharon Tate et de ses amis par la bande de Charles Manson sur une colline de Californie. La bande à Baader, l'attentat en gare de Bologne ont prolongé à leur manière en Europe ce basculement. En France, dans son titre resté célèbre « Bal tragique à Colombey : 1 mort », Charlie Hebdo fut le premier à souligner la singulière concomitance de deux événements qui ont peut-être joué ce rôle de fin d'un rêve libertaire : il y eut la mort de Charles de Gaulle, le 9 novembre 1970 et aussi, et peut-être surtout, l'incendie, le 1er novembre précédent, dans une localité de l'Isère, à Saint-Laurent-du-Pont, d'une boîte de nuit nommée le 5-7, où périrent 146 personnes, pour la grande majorité d'entre eux âgés de 14 à 26 ans. Guy Debord (entre autres) écrivit un texte violent et beau sur cette catastrophe. C'est aujourd'hui le cas, dans un tout autre registre, de Jean-Pierre Montal.
Ceux qui ont lu le précédent roman de Montal, Les leçons du vertige (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), épatante éducation sentimentale rock dans le Saint-Étienne des années 1970-1980, ne seront pas surpris qu'il se soit emparé de cette tragédie. Ce qu'il y a pourtant à la fois de plus convaincant et paradoxalement de plus risqué dans cette Nuit du 5-7, c'est que Montal échappe sciemment aux seuls effets du réel et de l'enquête pour le bénéfice du romanesque. Son livre est porté par la vie d'un certain Michel Mancielli, originaire de Saint-Laurent-du-Pont, l'ayant quitté dès 1963 pour une certaine forme de bohème parisienne. Il s'apprête à y retourner pour la funeste soirée- et pour retrouver par la même occasion la femme qu'il aime. Il est en effet membre du groupe Les Storm (qui se sont effectivement produits au 5-7 ce soir-là et dont nul ne réchappa de l'incendie) mais a été, malheureusement croit-il, viré de la formation quelques jours auparavant... C'est son histoire à laquelle s'attache Montal, avant et après le drame, l'histoire d'un miraculé, qui aurait pu aussi être celle de n'importe lequel de ces 146 gamins prolétaires de la France provinciale des années 1970, qui n'avaient que leur samedi soir pour échapper au quotidien... Montal raconte cela si bien, que les colères, la tristesse, l'ennui, l'espoir de Mancielli deviennent ceux du lecteur.
La nuit du 5-7
Séguier
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 € ; 256 p.
ISBN: 9782840498025