Détention

Bibliothèque de prisons : la difficile évasion

Le centre pénitentiaire sud-francilien de Réau (Seine-et-Marne) prévu pour 798 détenus. - Photo OLIVIER DION

Bibliothèque de prisons : la difficile évasion

Le centre pénitentiaire de Réau, qui a ouvert ses portes à la fin d'octobre en Seine-et-Marne, organise la mise en place de ses sept bibliothèques avec l'aide de professionnels, partenaires et bénévoles engagés.

J’achète l’article 1.5 €

Par Julie Rocha-Soares
avec Créé le 19.03.2015 à 18h05

Il est 9 heures, ce vendredi 4 novembre. Rachid saute de sa camionnette blanche garée dans l'enceinte du centre pénitentiaire sud-francilien de Réau (Seine-et-Marne) et ouvre ses portières tout sourire. Il charge une dizaine de cartons de livres prêtés par la médiathèque départementale sur deux diables. Avec un gardien de la paix, il les escorte jusqu'au bâtiment de l'unité d'attente de transfert. Après avoir franchi un dédale de sas et de portes à barreaux, le local de la bibliothèque apparaît au bout du couloir. Ça sent le neuf : douze étagères métalliques vides sont fixées aux murs immaculés. Aussitôt, les trois bibliothécaires présentes accompagnées d'une bénévole de la Croix-Rouge s'affairent. A l'aide d'un marqueur, l'une baptise les rayonnages, une autre rappelle les cotes du classement Dewey sur le tableau blanc. Les ouvrages rangés donnent rapidement vie à la pièce.

Une bibliothèque par bâtiment

"Initialement, une unique zone centrale culturelle était prévue, ce qui posait des problèmes d'accès", explique-t-on à la direction d'insertion et de probation. Effectivement, comme les détenus des différents bâtiments ne doivent pas se croiser, l'établissement compte sept bibliothèques, aménagées au rez-de-chaussée de chaque bâtiment : deux dans le quartier des hommes, une chez les femmes, deux à la maison centrale, une au centre national d'évaluation et une autre dans l'unité d'attente de transfert. De 25 à 42 m2 chacune, elles fonctionnent en réseau fermé, donnant aux 798 détenus un accès unique au catalogue interne, et seront ouvertes environ six heures par jour, sauf le mercredi et le dimanche, jours de parloir et de repos.

"Le plus difficile à gérer, c'est que tout doit être multiplié par sept, comme les abonnements aux journaux et périodiques, pointe la direction d'insertion et de probation. Et la culture en prison pâtit des restrictions budgétaires."

Pour le moment, Réau n'a pas recruté de coordinateur culturel. Cela oblige la jeune femme et ses huit conseillers, dont la mission prioritaire est la prévention de la récidive, à multiplier et diversifier leurs actions. Même si la lecture est envisagée comme un des leviers d'insertion possibles en prison, une barrière symbolique persiste : il arrive que certaines équipes pénitentiaires voient les bibliothèques comme du simple "occupationnel", en raison d'une loi de 2009 qui impose cinq heures d'activités quotidiennes.

L'aide de professionnels du livre est précieuse. Réau a ainsi passé plusieurs partenariats. La convention locale avec la médiathèque de Combs-la-Ville permet de bénéficier de ses animations. Par exemple la mise en place d'un jury littéraire, ou d'ateliers d'écriture avec l'écrivain Jacques-François Piquet - atelier dont les textes pourraient être publiés sur un blog.

Hermine Tissot, bénévole à Réau et bibliothécaire depuis bientôt dix ans, s'occupe du secteur Torcy-Melun à la section vidéo de la médiathèque départementale de Seine-et-Marne : "Notre établissement possède près de 20 000 DVD. Je fais tout pour les faire entrer en prison », dit-elle. Ce qui n'est pas facile, au regard des conventions passées avec la SACD, puisque les prisons ne sont pas considérées comme des lieux publics. En revanche, la médiathèque de Seine-et-Marne, en partenariat avec le centre pénitentiaire, vient de mettre à disposition 500 livres. Pour la bénévole, "l'idéal serait de mettre à disposition 1 000 à 1 500 livres par bibliothèque à Réau".

La médiathèque s'engage aussi à aider au désherbage ainsi qu'à la formation des détenus volontaires au poste individuel d'auxiliaire de bibliothèque. Dans l'un des bâtiments réservés aux hommes, plusieurs candidats se sont déjà manifestés. Le recrutement sera fondé sur l'amour de la lecture, la motivation et la capacité à se faire respecter de la dizaine de détenus que peut contenir la bibliothèque.

En attendant, quelques détails sont à régler : la condamnation des quatre fenêtres à barreaux qui donnent sur la promenade des hommes, et surtout l'achat de bacs pour les bandes dessinées et de mobilier pour créer un espace serein de lecture. Des registres pour les commandes spécifiques des détenus en formation scolaire ou professionnelle seront également mis en place.

Dons de particuliers

Le soutien est aussi financier. Le Centre national du livre a accordé à la prison de Réau une aide à hauteur de 80 % du budget estimé. De son côté, la direction pénitentiaire interrégionale a consacré 20 000 euros à l'acquisition de livres. De fait, le service de probation et d'insertion, qui a dégagé 4 000 euros de son budget propre, a pu constituer un fonds de près de 650 ouvrages. Le mécénat avec un éditeur en a rapporté 1 300 supplémentaires qui complètent les "quelques milliers" de dons de particuliers.

Stockés dans une pièce au coeur de la prison, des cartons de déménagement éventrés débordent de livres. Les nouveautés, comme Même le silence a une fin d'Ingrid Betancourt, sont bien rares par rapport aux ouvrages plus anciens, souvent abîmés. Des manuels scolaires encore emballés sont posés près d'une collection de l'Encyclopaedia Universalis. Des contes pour enfants voisinent avec un roman de Guillaume Musso et un essai de Simone Weil.

Espagnol et arabe demandés

Selon la direction d'insertion et de probation, si les détenus aiment avant tout lire des polars, de la SF, et, pour ceux qui ne connaissent pas bien le français, des albums jeunesse en gros caractères et des ouvrages pratiques, il y a "une grande demande en langues espagnole et arabe qui vont faire l'objet d'achats spécifiques".

A la prison de Réau, comme ailleurs, on n'aime pas trop parler de la censure. A en croire les responsables, aucune consigne particulière n'existe, en dehors des considérations légales habituelles. Ce qui est sûr, c'est que désormais les bibliothèques en prison tentent de se rapprocher, dans la mesure du possible, des fonctionnalités et des aspirations des bibliothèques classiques.

Les dernières
actualités