Nous connaissons tous le tableau de Magritte, Ceci n'est pas une pipe, où l'on voit une pipe. C'est pareil pour cette biographie qui n'en est pas une. Évidemment, elle est signée Bruno Latour, chez un éditeur qui a toujours privilégié le pas de côté. Pasteur, donc. Mais quel Pasteur ? Le héros de la nation, sûrement pas. La figure tutélaire du vaccin, pas plus. Le savant intégral, encore moins. Non, à travers la figure de Pasteur, le philosophe, sociologue et anthropologue, décédé le 9 octobre dernier à l'âge de 75 ans, recherche autre chose : l'idée que l'on se fait de la science qui peut transformer la société. Voilà, nous y sommes ! Ce Pasteur sera donc sans pasteurisation, cru comme les fromages, avec du goût et du style, en redonnant à l'homme exemplaire qu'il fut toute la place qui lui revient.

L'auteur ne s'attarde pas sur la personnalité de celui qui ne riait jamais. Ce n'est pas par sa vie comme le font les biographes mais par son laboratoire qu'il aborde Pasteur. Car tout est là. Et les raisons de l'admirer sont encore plus grandes. « Il y a du Bonaparte dans la campagne exemplaire qui fait passer le fils d'un petit tanneur de Dole au "plus grand savant du monde". » Et cette campagne passe par le labo, le labo dans lequel Pasteur fait venir la campagne, la ferme. On y trouve des élevages de vers, des poulets et des ferments qui vont lui permettre de gagner le combat contre les partisans de la génération spontanée. Car chez lui, il n'y a pas d'opposition entre nature et bouillon de culture.

Mais ce laboratoire, c'est encore bien plus. Un projet. Avec lui, Pasteur a pasteurisé la France. Il a montré l'importance des enceintes stériles pour éviter l'ensemencement par les microbes. Le monde lui-même qu'il fait venir au milieu des ballons à col-de-cygne devient une annexe de son labo. Il explique ainsi la difficulté à relier un virus à une maladie. « En touchant aux microbes et à la contagion, Pasteur touche à la politique et au lien social. » Désormais, nos vies quotidiennes passent par les laboratoires. Ils sont essentiels aux aliments que nous consommons chaque jour. Et cela, nous le devons aussi à Pasteur. « L'exemple de Pasteur nous montre à merveille combien une discipline nouvelle peut-être civilisatrice. » Car la science ne s'arrête pas à la sortie du laboratoire. Elle fait son chemin dans les esprits comme pourrait le faire l'écologie à laquelle Bruno Latour a consacré de nombreux travaux internationalement reconnus.

Une précédente version de ce texte avait été publiée chez Perrin en 1994 sous la forme d'album et sous l'égide de l'Institut Pasteur pour commémorer le centenaire de la mort du savant. Il prend aujourd'hui tout son sens après l'épisode de la pandémie. « Si nous habitons chez les microbes, autant nous habituer à leurs façons d'être. Et personne n'en a mieux saisi la nouveauté que celui qui les a le premier rencontrés avec son style de recherche si particulier. » Et c'est là que nous touchons véritablement, en cette année où nous fêtons le bicentenaire de sa naissance, l'ampleur de son génie.