D'abord la difficulté, voire la douleur de le dire. Elle affleure dans ces quinze témoignages d'hommes et femmes homosexuels ou transgenres. S'ajoute ensuite la violence contre ceux que l'on traite de makoumè, « pédé » en créole - insulte que l'on accompagne souvent de gestes agressifs. Car au-delà des mots, il y a eu aux Antilles des coups de couteau, des séquestrations, des tortures et quelquefois des meurtres.
Caroline Musquet a voulu comprendre les mécanismes de cette violence et cette spécificité du rejet de l'homosexualité dans les territoires ultramarins. En 2018, trois députés avaient présenté à l'Assemblée nationale un rapport sur les discriminations anti-LGBT dans les Outre-mer. On y percevait déjà le poids de l'insularité dans la permanence de ces tabous créoles. La journaliste le constate à son tour. « Si sur les continents, ce n'est pas toujours facile de vivre sa différence, sur une île, c'est quasiment impossible. » Sur une île, tout le monde connaît tout le monde. C'est un avantage pour la solidarité, mais un handicap pour la préservation de l'intimité. « La géographie n'aide pas à faire bouger les mentalités » dit l'un d'eux. Pour un autre, « garder le secret, c'est se protéger, c'est protéger sa vie privée et sa vie professionnelle pour plus tard ». C'est pourquoi dans la Caraïbe, l'homosexualité se vit an ba fey, discrètement. Ou elle précipite le départ en métropole.
Pour comprendre ce particularisme qui concerne aussi la Guyane, un retour par le passé s'avère nécessaire. On y voit la question d'une virilité confisquée durant l'esclavage et le besoin de la retrouver, mais aussi l'idée que l'homosexualité serait « un vice importé par les Blancs qui n'avait pas lieu d'être dans la société caribéenne avant la colonisation ». Le psychiatre Frantz Fanon et l'écrivain Édouard Glissant, tous deux Martiniquais, considéraient que l'homosexualité était rare aux Antilles, sauf peut-être pour les femmes qui échappaient ainsi « au machisme ambiant ». Maryse Condé est une des rares à évoquer ouvertement le sujet dans ses livres.
Pour la plupart des personnes interrogées, militants, intellectuels, sportifs ou parents, l'île est vécue comme une prison, une prison morale dont il est difficile de s'échapper. « Pour moi, l'homophobie aux Antilles vient d'abord d'un manque d'éducation », estime l'une d'elles. En fait, les facteurs sont multiples, et celui de la religion n'est pas le moindre. Cette Martiniquaise exprime cette difficulté. « Notre plus grand combat est de vivre comme on en a envie. » La justice et la police sont davantage à l'écoute des victimes, mais les politiques locaux demeurent prudents. « Quel rôle joue les élus ? Rares sont ceux qui s'expriment favorablement sur le sujet. » Le non-dit est une autre spécialité antillaise. Si l'on n'en parle pas, ça n'existe pas. Sauf que les agressions ne disparaissent pas. Cette enquête originale arrive donc à point nommé pour non seulement ouvrir la parole, mais aussi un terrain d'études.
Être homosexuel(le) aux Antilles. 15 témoignages
Caraïbéditions
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 20 € ; 232 p.
ISBN: 9782373111187