Les amateurs de lecture ne dormiront plus jamais seuls" : la devise du Library Hotel de New York témoigne à elle seule de l’irruption massive du livre dans les hôtels du monde entier. Des grands noms de l’hôtellerie de masse, jusqu’aux "boutiques-hôtels", ces petits établissements souvent haut de gamme, toutes les variétés d’hébergement se prêtent maintenant au jeu de la librairie ou de la bibliothèque, et usent de la thématique littéraire comme d’un argument de vente.
"Nous sommes un peu à mi-chemin entre un Airbnb et une chambre d’hôtel classique. L’idée est de proposer quelque chose de plus sympa et convivial que les offres hôtelières classiques", justifie Aleth de David-Beauregard, assistante commerciale de La Librairie du Marais, un "boutique-hôtel" parisien qui a ouvert sa suite littéraire en décembre 2016. "Le projet a été imaginé par trois associés qui ont voulu proposer une solution hôtelière alternative, plus intime et personnelle."
Chinés dans des brocantes
Le succès est au rendez-vous : l’établissement, proposé à 275 euros la nuit, est en moyenne réservé à 80 % chaque mois, essentiellement par une clientèle étrangère et plutôt jeune, attirée par une nuit au milieu des livres. Si aucun des quelque 4 500 ouvrages, chinés dans des brocantes et mis à la disposition des clients, n’est à vendre, la direction propose un système d’échange. "Les clients peuvent prendre un livre qui les intéresse, et déposer un des leurs à la place. Nous avons maintenant des livres en chinois, en japonais, en allemand…", raconte Aleth de David-Beauregard.
Cette stratégie littéraire a été initiée, dès 2010 par Le Pavillon des Lettres. Ce quatre étoiles, situé dans le 8e arrondissement de Paris, se revendique comme le "premier hôtel littéraire parisien" avec ses 26 chambres, chacune dédiée à un auteur, de Zola à Diderot en passant par Goethe, Kafka ou Shakespeare. "La bibliothèque haut de gamme que nous avons ouverte est un apport en termes d’image, d’élégance et d’identité à l’hôtel, résume Benoit Saudemont, assistant de direction. Nous avons aussi mis en place un room-service littéraire, pour livrer les ouvrages en chambre." Si la collection de livres, constituée en partenariat avec la librairie Galignani et composée pour l’essentiel de "Pléiade" et de beaux livres, n’est pour l’instant pas à vendre, la direction de l’hôtel ne s’interdit pas de s’improviser libraire dans l’avenir.
A Tokyo, le groupe R-Store a franchi le pas avec ses Book and bed. Présentés comme des "librairies d’accommodation", les établissements disposent d’alcôves aménagées dans les étagères à livres pour passer quelques heures, une journée ou une nuit. "Notre concept est celui du paradis pour les lecteurs. Il permet de recréer l’expérience magique de s’endormir en lisant", explique sa direction. Le succès est fulgurant puisque après l’ouverture d’un premier Book and bed en 2015, trois autres ont depuis vu le jour, tous réalisés en collaboration avec l’éditeur nippon Shibuya, qui se charge de la sélection et de l’approvisionnement en livres. Cette idée fait des émules jusqu’à Lille où ouvrira au printemps prochain Place Ronde, une librairie indépendante où les bibliophiles pourront réserver une chambre (1).
Dormir dans sa bulle
L’axe littéraire a aussi retenu l’attention des grands groupes hôteliers. AccorHotels a inauguré, le 14 février près de Genève (Suisse), son premier Ibis Styles entièrement consacré à la bande dessinée et à Rodolphe Töpffer, considéré comme le père du genre. "J’ai soumis l’idée au groupe Accor il y a quatre ans, se souvient Arthur Anthamatten, administrateur de l’hôtel. L’idée était de monter une vitrine de la création de bande dessinée genevoise, plus vivante qu’un musée et plus originale qu’un simple hôtel."
Pour ce faire, l’établissement, situé à quelques mètres de l’école primaire qui a inspiré à Zep son personnage de Titeuf, a invité six auteurs de BD à décorer les murs de ses 119 chambres. Buche, Zep, Tom Tirabosco, Exem, Albertine et Frederik Peeters ont chacun livré deux créations originales. "Chaque étage étant dédié à un artiste, ce sont six mondes et styles différents qui s’offrent au client", se félicite la direction. Dans le hall d’entrée se trouve aussi une bibliothèque, ainsi qu’un bar où lire les bandes dessinées. "Mais nous voulons aller plus loin et donner envie aux clients de repartir avec un souvenir", poursuit Arthur Anthamatten, qui révéle être en pourparlers avec des libraires genevois pour l’ouverture prochaine d’un point de vente dans l’hôtel. Il insiste : "Le but n’est pas de générer du chiffre d’affaires supplémentaire mais bien de rendre hommage à la création de BD locale." Cela fonctionne d’ailleurs si bien qu’il indique être déjà surpris par le nombre de curieux venant simplement visiter l’hôtel sans y dormir.
Best Western aussi s’est emparé du livre pour vendre des nuitées. A Paris, le Swann, 81 chambres, a pour vocation de faire découvrir l’œuvre de Marcel Proust notamment grâce à une bibliothèque d’ouvrages en plusieurs langues qui lui est consacrée. "C’est plus que de la déco. En fait, les livres sont la base de l’hôtel. C’est magique", se réjouit Julien, un client habitué du lieu. Dans le même esprit, Best Western a, ces dernières années, ouvert un hôtel Alexandre-Vialatte à Clermont-Ferrand et un Gustave-Flaubert à Rouen.
Certaines sociétés hôtelières ont même fondé leur identité sur les livres. C’est le cas par exemple des Library Hotel Collection qui ont ouvert leurs luxueuses portes partout dans le monde, après le succès d’un premier hôtel situé à New York, en plein Manhattan, imaginé avec l’appui de l’éditeur Simon & Schuster. Chacun des douze étages y a sa thématique, chaque chambre sa discipline. Pour d’autres, l’aspect littéraire n’est parfois qu’un lointain argument de vente. C’est ainsi que les descendants d’Ernest Hemingway ont lancé, en 2012, une chaîne d’hôtels portant le nom du prix Nobel de littérature 1954, les Hemingway Hotels & Resorts. Pour prétendre au label, nul besoin d’avoir un rapport intime avec l’œuvre de l’écrivain puisque, parmi les critères à remplir, l’hôtel doit simplement… posséder un bar.
(1) Voir LH 1163 du 2.3.2018, p. 40.