Kettly Mars fait rayonner l’imaginaire haïtien depuis près de vingt ans, avec une œuvre littéraire multiforme, toujours en prise avec le cœur de la psyché, de la culture et de la société de son pays. Elle produit des romans politiques affrontant la situation chaotique suite au séisme du 12 janvier de 2010 dans Aux frontières de la soif (Mercure de France, 2013), ou des histoires de famille et de folie dans le polyphonique Je suis vivant (2015). L’ange du patriarche plonge cette fois-ci dans la spiritualité syncrétique de l’île, à travers une lignée de "chasseuses de démons".
Emmanuela, la quarantaine, veuve, travaille dans une petite succursale bancaire dans un quartier périphérique populaire et instable de Port-au-Prince. Elle a un fils, Alain, un amant marié et une cousine maternelle, Couz, dont la famille vit loin (fille unique, médecin à Chicago, frère cadet expatrié en France depuis quarante ans). A 79 ans, sentant sa fin proche, l’aïeule a décidé de révéler à sa cousine, peu concernée par les rites et le "charabia mystique", la menace qui pèse sur leur famille depuis que son arrière-grand-père, riche propriétaire terrien et politicien influent, a conclu un pacte maléfique, pour accroître son pouvoir, avec l’ange Yvo. Il s’agit de convaincre Emmanuela d’accepter la mission et les grands pouvoirs qu’elle ignore posséder, de "lui montrer les gestes, lui apprendre les prières, la puissance des prières", la magie pour convoquer les anges et les archanges protecteurs qui combattent les esprits démoniaques. Réticente à prêter foi à cette malédiction qui se transmet de génération en génération, Emmanuela, baptisée catholique mais sensible au vodou pratiqué "depuis la nuit des temps" dans la famille de son amie Patricia, entre dans de violentes "turbulences spirituelles" qui menacent son équilibre et décide finalement de se donner "une chance de comprendre certaines choses dont la dimension n’est pas préhensible par l’intelligence rationnelle".
A travers cette histoire d’initiation, de transmission, où la réalité flirte avec les hallucinations, l’intime avec l’histoire collective, Kettly Mars offre des portraits de femmes complexes, puissantes et indépendantes, en première ligne sur tous les combats. Sur toutes les luttes, visibles ou invisibles. Véronique Rossignol